Un jeu de passes

Dans « Looking for Eric », de Ken Loach, Éric Cantona devient l’ange gardien d’un de ses fans.

Christophe Kantcheff  • 28 mai 2009 abonné·es

Rien ne va plus dans la vie d’Eric Bishop, postier de son métier. Il emprunte avec sa voiture une bretelle d’autoroute à l’envers, désirant en finir. Mais son projet échoue de la même façon qu’il pense avoir raté sa vie. Séparé depuis longtemps de sa femme, qu’il n’a plus le courage de voir, père de deux adolescents plus à l’aise dans les petits trafics qu’avec le travail scolaire, il a perdu la joie de vivre. Looking for Eric commence comme un Loach âpre, style Raining Stones ou It’s A Free World.

Mais très rapidement le ton change. Parce que les collègues de travail d’Eric se sont donné pour mission de l’égayer. Si leurs efforts ne parviennent pas à lui soutirer le moindre sourire, en revanche, le spectateur, lui, rit sans retenue. À vrai dire, on connaissait mal cette veine délibérément comique de Ken Loach, où la scène est entièrement tendue vers un gag ou par une suite de tirades tout aussi drôles les unes que les autres, quand, par exemple, les copains d’Eric commentent avec force ironie les manuels de mieux-vivre, totalement bidons, que l’un d’eux lit à haute voix.
Un soir, Eric, toujours déprimé, s’adresse à son idole par l’intermédiaire du poster qu’il a de lui dans sa chambre. Il se demande ce que le plus grand champion de Manchester United ferait à sa place. C’est alors qu’intervient Éric Cantona, telle une apparition.

Ces face-à-face entre les deux Eric sont le réel moteur du film. Comment regagner sa femme ? Comment se sortir d’une sale histoire d’arme à feu dans laquelle trempe l’un de ses fils ? Cantona multiplie les conseils sous forme de sentences approximatives et drolatiques, le français venant s’immiscer plus souvent qu’à son tour dans un anglais à l’accent marseillais. Peu importe, finalement, les aléas du scénario et la manière dont Eric va relever la tête, sinon que la solution passe, bien sûr chez Loach, par le collectif. Ce n’est pas la partie la plus passionnante du film.
En revanche, la relation qui s’instaure entre le footballeur et son fan sonne très juste. Par ses conseils, mais aussi par les confidences qu’il fait à Bishop sur sa carrière de joueur (qui donnent l’occasion de revoir ses meilleurs buts), Cantona devient non pas son gourou, mais son ange gardien, le poussant à être lui-même (d’où la phrase déjà beaucoup entendue extraite du film : « Je ne suis pas un homme, je suis Cantona. » ). Comme si le footballeur rendait quelque chose en retour à quelqu’un qui lui a beaucoup offert, en soutien et en admiration. Une manière généreuse de vivre le football dans un film, somme toute fort sympathique.

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