Une guérilla pétrolière

Avec l’aide de mercenaires et des renseignements français, les rebelles venus du Soudan ont été massacrés. Et le silence est retombé sur un pays où la population souffre de la faim et d’exodes multiples.

Claude-Marie Vadrot  • 21 mai 2009 abonné·es
Une guérilla pétrolière

Un surprenant silence est retombé sur l’éternel combat des « rebelles » soudano-tchadiens contre le Tchad. Le gouvernement de N’Djamena et la France étant d’accord pour que le monde et l’Afrique oublient que les affrontements ont été terribles et qu’il y a eu des centaines de morts alors que la population souffre de la faim et d’exodes multiples. Nul ne veut s’appesantir sur les conditions dans lesquelles l’armée française basée dans le pays et les mercenaires au service du président tchadien Deby ont participé à la destruction de plus de 400 des véhicules à bord desquels les militaires de l’UFR, l’Union des Forces de la Résistance, étaient une fois de plus en route vers la capitale du Tchad. Cela, après avoir quitté leurs bases aux limites du Tchad et du Darfour.

Personne, en outre, ne souhaite que soient posées des questions gênantes sur l’origine du millier de véhicules pick-up neufs et lourdement armés qui ont franchi la frontière soudanaise le 8 mai. Comme à chacune de ces offensives, Soudanais et Chinois ont généreusement contribué à l’armement de ceux qui veulent mettre fin aux dix-huit ans de règne du Président. Même s’ils représentent plus un moyen de pression étrangère et pétrolière qu’une perspective démocratique face à un homme arrivé au pouvoir en 1990 après une offensive menée du Soudan contre son prédécesseur, Hissène Habré, avec un appui soudanais et français. La répétition de ces offensives, régulières depuis 2005, en dit long sur l’état du pays : pendant la saison des pluies, il faut au minimum quinze jours pour parcourir les 700 kilomètres de « route » qui relient la capitale à Abéché, la seule métropole du nord, dont les 80 000 habitants n’ont qu’épisodiquement de l’eau et de l’électricité. Abéché n’est reliée à N’Djamena que par les avions français et ceux des Nations unies.

Les combats se sont déroulés en quelques jours, au sud de cette ville, dans des circonstances obscures et à l’abri de la presse. « Combats » étant un mot impropre pour désigner une série d’attaques aériennes menées par des avions Suhkoï et cinq ou six hélicoptères. Comme ces engins, les pilotes étaient russes et ukrainiens, membres de cette force mercenaire qui depuis des années se met au service des régimes africains les plus généreux. Au Tchad, ils sont payés, au vu et au su de tout le monde, par l’argent du pétrole, dont le pays produit environ 180 000 barils par jour sans que la population et les infrastructures du pays n’en profitent. Des mercenaires parfaitement organisés, dotés de leur propre intendance, et auxquels, par exemple, le président de Côte-d’Ivoire a fait appel il y a quelques années.

Les mêmes interviennent régulièrement pour les uns ou les autres, dans le nord-est du Congo, notamment dans le Kivu, près de la frontière du Rwanda. Ce groupe aérien, lorsque nul n’a besoin de ses services militaires, assure avec des vieux Iliouchine l’évacuation des bois rares, des diamants et des minerais indispensables à la fabrication des ordinateurs et des téléphones ­por­tables. Produits « blanchis » en Russie, en Biélorussie et en Ukraine avant de revenir vers l’Union européenne. C’est d’ailleurs dans ces pays, essentiellement dans le sud de la Biélorussie, que ces mercenaires, ceux qui ont été filmés dans le Cauchemar de Darwin par Hubert Sauper il y a quelques années, s’approvisionnent en armes, en munitions et en pièces de rechange pour leurs appareils.

Au Tchad, Chinois et Soudanais entretiennent une insécurité qui profite aussi bien aux Français qu’aux Américains – le pétrole est exploité par le consortium Exxon Mobil – puisqu’elle leur permet de contrôler le président Deby. Les mercenaires ne pouvaient pas rater leurs cibles car ils ont bénéficié des renseignements fournis par l’armée française basée à N’Djamena et à Abéché, où elle est la seule à entretenir l’aéroport dans le cadre de l’opération Epervier, qui permet le stationnement d’un millier de militaires français.

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