Une vague de nostalgie

À l’occasion du festival
de Cannes, Arte honore
la Nouvelle Vague
à travers une programmation exceptionnelle.

Jean-Claude Renard  • 7 mai 2009 abonné·es

Mai 1957. Festival de Cannes. François Truffaut propose à Bernadette Laffont de tourner dans l’été proche un court-métrage, les Mistons. La piquante brunette a 17 ans. Déjà mariée à Gérard Blain, jaloux féru de sa dame qui lui défend de passer devant la caméra. Balle peau et en voiture Simone. Ou plutôt Bernadette. Jusqu’à Nîmes. Pour sa première pellicule, Truffaut adapte la nouvelle de Maurice Pons, une histoire simple d’un jeune couple amoureux taquiné par une bande de lascars. « Le tournage s’est déroulé dans une atmosphère de vacances estivales, avec beaucoup d’improvisations » , raconte l’actrice, plus de cinquante ans après, dans un entretien, essentiellement anecdotique, précédant les Mistons , ce premier film du réalisateur préfigurant une partie de son cinéma. Premiers émois (où les mômes viennent renifler la selle de vélo sur laquelle Bernadette s’est assise), l’enfance, l’adolescence, la tragédie de l’existence.

Inséré dans la case « Court-circuit », consacrée entièrement à la Nouvelle Vague, à l’occasion du festival de Cannes, ce chapitre inaugural dans le roman pelliculaire de Truffaut est suivi d’un autre court-métrage, réalisé par Agnès Varda en 1961, les Fiancés du pont Mac Donald, un burlesque ahurissant sur un jeune amoureux qui voit sombrement la vie dès lors qu’il a chaussé ses lunettes noires. Un film muet, avec un Jean-Luc Godard chapeauté en Harold Lloyd, accompagné d’Anna Karina, Sami Frey, Eddie Constantine, Yves Robert, rehaussé par une musique improvisée au piano par Michel Legrand. Un arc-en-ciel de rencontres qui vaut bien celui qui s’affiche dans Une histoire d’eau, autre court-métrage, tourné en 1958 par Godard et Truffaut, jouissant véritablement des inondations féeriques, façon Buster Keaton, alentour de la capitale, pour construire un improbable flirt entre Jean-Claude Brialy et Caroline Dim.

Ce sont là trois courts-métrages qui donnent le ton d’une programmation exceptionnelle sur une Nouvelle Vague qui ne s’est assurément pas « autoproclamée Nouvelle Vague , commente, toujours dans ce numéro de “Court-circuit”, Luc Moullet, critique et réalisateur, qui ne cherche pas à s’agglomérer tant il y a de directions contradictoires » . Il suffit de songer au cinéma de Truffaut, de Chabrol, de Godard, de Rivette. « C’est une invention pour les journalistes parce qu’il est intéressant de faire un travail de synthèse. De quoi faire des papiers. »

À l’instar de ce qui s’est fait pour le Nouveau Roman, on a cherché à établir un dénominateur commun. « En réalité, poursuit Luc Moullet, il y a très peu de traits d’union entre les réalisateurs. Notre réunion était surtout critique parce qu’on défendait avec vigueur Howard Hawks et Alfred Hitchcock. Ça paraît évident et naturel aujourd’hui, ça ne l’était pas à l’époque. La critique est moins incisive maintenant. On sent que le cinéma est fragile. On se serre donc les coudes. Les revues ont tendance à dire du bien de tout le monde, si bien que quelque chose se perd dans l’esprit du lecteur, qui ne dégage pas les cinéastes importants, ce qu’on essayait de faire il y a cinquante ans. »

Cette revue critique dont parle Moullet, les Cahiers du cinéma , qui a vu signer notamment Rivette, Truffaut, Chabrol, Godard, Douchet et Rohmer, avant que l’un ou l’autre n’aboutisse à la Carrière de Suzanne , Hiroshima mon amour , le Mépris ou encore Jules et Jim , À bout de souffle et les 400 coups , ouvrant cette rétrospective sur Arte, récompensé à Cannes en 1959 par le prix de la mise en scène (soit il y a cinquante ans, prétexte à cette programmation).

Des œuvres sans rien en commun sinon une liberté de ton, d’expression et d’écriture cinématographique. Une liberté qui possède son héritage à travers les figures d’Almodovar, de Moretti, de Forman. Une Nouvelle Vague influençant le cinéma américain (d’Arthur Penn à Sidney Lumet, de Paul Schrader à William Friedkin, de Don Allan Pennebaker à Jerry Schatzberg), comme le rappelle Luc Lagier dans un autre documentaire, la Nouvelle Vague vue d’ailleurs , constitué de nombreux entretiens, confrontant les images et les plans d’un film à l’autre.

La Nouvelle Vague a 50 ans, sur Arte : lundi 11 mai, les 400 coups, 20 h 45 (1 h 35) ; la Nouvelle Vague vue d’ailleurs, 22 h 15 (52’). Mardi 12 mai, la Carrière de Suzanne, 01 h 15 (52’). Court-circuit (les Mistons, les Fiancés du pont Mac Donald, Une histoire d’eau), vendredi 15 mai, 23 h 50 (50’). Également à voir, la Grande Bouffe, de Marco Ferreri, qui avait stupéfait (euphémisme) les festivaliers en 1973, mardi 12 mai, en deuxième partie de soirée, sur France 2.

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