Défendre nos victoires

Philippe Mangeot  • 4 juin 2009 abonné·es

Certains anniversaires ont un goût de cendre. Se rappeler qu’Act Up a 20 ans, c’est être tenté d’égrener les noms de ceux qui ne sont plus là pour s’en souvenir, en calculant l’âge qu’ils auraient s’ils n’avaient été fauchés par le sida. En regard de ces défaites, à la lumière de ce qu’il reste à faire – notamment dans les pays du Sud, où l’épidémie n’a jamais été si meurtrière qu’aujourd’hui –, la liste de nos victoires peut sembler dérisoire.

Elles sont considérables, pourtant, et doivent être défendues pied à pied chaque fois que le pouvoir actuel entend les entamer. Si les personnes atteintes du VIH sont prises en charge à 100 % depuis 1993 ; si les étrangers atteints de pathologies graves ont été réputés inexpulsables ; si certaines des procédures préalables à la mise à disposition de nouveaux traitements ont été accélérées ; si des personnes exposées au virus se sont vu proposer des traitements prophylactiques ; s’il n’est plus si facile de vouer les pédés au bûcher sans faire la moindre vague, c’est en grande partie grâce à Act Up.

Mais le plus grand succès de l’association est dans l’invention d’une manière politique qui a radicalement transformé la perception de l’épidémie et permis à de nombreux malades de relever la tête, à une époque où on les réduisait au silence et à la souffrance solitaire. En général, les commentateurs ne retiennent qu’un aspect d’Act Up au détriment des autres : ici, des techniques de lutte qui compensent la faiblesse numérique par le spectaculaire ; là, la production d’une contre-expertise dans tous les domaines où le sort des malades est en jeu ; là encore, la contribution à d’autres mobilisations, parce que l’épidémie fait son lit de toutes les inégalités. Or, ces trois aspects participent d’une même logique. Faire de sa faiblesse une force dans la rue ou dans les ministères, voler leur savoir aux médecins afin que chacun puisse participer à des choix thérapeutiques qui engagent son existence, refuser d’être assigné à la honte en affirmant hautement qu’on est pédé, prisonnier, usager de drogues, travailleuse du sexe ou sans-papiers : c’est chaque fois reprendre du pouvoir sur sa propre vie, et permettre à d’autres de le faire à leur tour. Ceux qui, depuis vingt ans, font Act Up-Paris ne connaissent pas de plus haute ambition politique.

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