Des conclusions toutes relatives

Denis Sieffert  • 11 juin 2009 abonné·es

Ces élections européennes ne sont évidemment pas dépourvues de signification. Mais il faut se garder de plonger tête baissée dans l’analyse pour en tirer des conclusions définitives sur la transformation de notre paysage politique. Nous sommes ainsi faits, indécrottables Gaulois, que nous n’avons qu’une hâte : projeter les résultats de dimanche soir sur nos législatives, voire – plus ridicule encore ! – sur une présidentielle. C’est oublier une donnée fondamentale de ce scrutin : l’abstention massive. Quel enseignement retenir quand plus de 60 % des électeurs potentiels ont boudé les urnes ? Que dire quand on sait que les grands scrutins hexagonaux mettent en mouvement presque deux fois plus d’électeurs qu’en ce dimanche 7 juin ? Et que penser quand on sait que ces abstentionnistes ne sont pas sociologiquement répartis dans toutes les catégories de la société, mais sont principalement issus des classes populaires ? Disons-le franchement : l’abstention ridiculise certaines exégèses de soirée électorale. Célébrer une victoire de Nicolas Sarkozy est, par exemple, franchement grotesque. Un gouvernement et un président de la République qui ne recueillent qu’un peu plus du quart des suffrages exprimés dans une élection déjà amputée de 60 % de ses électeurs, cela s’apparente plus à un désastre qu’à un triomphe. Mais, il est vrai, tout est relatif. Xavier Bertrand aurait pu s’écrier comme Talleyrand : « Quand je me vois je me désole, quand je me compare je me console. »

Car si l’UMP surnage, c’est en comparaison du Parti socialiste, qui est le grand malade, le grand agonisant de notre vie politique. Mais, cela, ce n’est pas une découverte. Tout au plus peut-on observer que le mal se propage à toute l’Europe. La crise de la social-démocratie ne connaît plus guère d’exception. Son explication est simple : elle n’est plus la social-démocratie. Elle n’est même plus réformiste. Et c’est sur la question européenne que la mutation s’est opérée. C’est en prétendant transformer l’Europe en idéologie, et même en doctrine, que la social-démocratie a abandonné son enracinement social et des références historiques que l’on pouvait toujours juger formelles, mais qui lui conféraient une identité. Pas étonnant donc que, face à un tel scrutin, les partis qui brandissent encore l’étiquette social-démocrate boivent gravement la tasse. Sans âme, sans colonne vertébrale, sans principes, le Parti socialiste est attaqué en France sur deux fronts. Par une nouvelle gauche écologique, d’une part, et par une gauche sociale, d’autre part.
La charge la plus violente vient évidemment d’Europe Écologie. La liste conduite par Daniel Cohn-Bendit a sans aucun doute pipé un grand nombre de voix aux socialistes. Outre un tropisme européen, et même transfrontière, qui tient à la nature même du péril écologique, les écolos ont eu l’intelligence de « socialiser » leur programme. Ils tentent de se départir de leur réputation « sociale-libérale » héritée de la bataille référendaire de 2005 et des faiblesses souvent affichées dans la défense des services publics, pour des raisons d’ailleurs complexes (je pense en particulier au débat sur le monopole de l’EDF).

Mais, surtout, ils posent des questions sur les grands problèmes planétaires. Ils se penchent sur les comportements. Nos comportements. Le hasard veut que nous publiions dans ce numéro un entretien sollicité depuis plusieurs semaines avec Yves Cochet sur ses propositions dans le domaine de la natalité. Quoi qu’on en pense, c’est un parfait exemple du genre de débats, « dérangeants » comme on dit, qui élargissent le champ de la politique et la font entrer dans notre vie quotidienne. Il n’en reste pas moins vrai que cette liste, c’est un peu l’auberge espagnole. Nous souhaitons qu’elle conserve son originalité « sociétale » ; mais nous souhaitons aussi qu’elle clarifie certaines de ses positions économiques et sociales. Bref, qu’elle soit plus cohérente. Tôt ou tard, le combat écologique se heurte à la logique capitaliste. Beaucoup, évidemment, parmi les Verts, sont conscients de cela. Pas tous. En tout cas, les voilà fortement installés au Parlement européen. Quant à se demander combien Cohn-Bendit ferait à une présidentielle, cela entre dans cette catégorie du grotesque dont je parlais tout à l’heure. Avec cette sincérité libertaire dont on ne peut douter, « Dany » écarte l’hypothèse au prétexte recevable que « président, c’est pas une vie ! »  [^2].

Mais les socialistes ont aussi été attaqués nettement plus à gauche par le Front du même nom, celui de Marie-George Buffet, de Jean-Luc Mélenchon et de Christian Picquet. De ce côté-là, le succès est moins spectaculaire. Il n’en est pas moins réel dans un contexte difficile. Le Front de gauche faisait ses premiers pas en politique à l’occasion d’un scrutin qui n’encourageait pas vraiment son électorat potentiel. Il permet au Parti communiste d’inverser la tendance d’un déclin régulier. Dans ces conditions, les six points glanés, et les cinq sièges conquis au Parlement européen, constituent une bonne rampe de lancement. Mais pour quoi faire ? La question se pose au Front de gauche, comme aux écolos, comme au NPA. Ces élections confirment deux évidences. La première : à court terme, le Parti socialiste n’est plus assuré d’être hégémonique, ni même majoritaire au sein de la gauche. D’autres forces peuvent rapidement se constituer qui ne dépendront plus de lui. La seconde : la question de l’ouverture et de l’unité demeure. Rien ne se fera de grand si toutes les composantes d’une vraie gauche « démocratique, écologique et sociale » ne se respectent pas. Ou, pour le dire autrement, si chacune se prend pour l’unique solution du problème.

[^2]: Voir Libération du 9 juin.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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