Des planches de salut

Le Théâtre du Copion, au Burkina Faso, sensibilise le public à des questions de société. La troupe amène le public à réfléchir sur le sida, les rapports hommes-femmes ou l’éducation.

Linda Zenati  • 4 juin 2009 abonné·es
Des planches de salut
© Le Théâtre du Copion sera en représentation en France et en Belgique du 1er octobre au 15 décembre 2009. , . Asmade, ,

Dès 9 heures du matin, le ventilateur tourne à plein régime chez Georget Mourin, directeur de la troupe du Copion. Il reçoit aujourd’hui ses comédiens pour une répétition, avant la représentation prévue en fin d’après-midi à Pissy, un village aux abords de Ouagadougou. Âgés de 24 à 30 ans, ils arrivent les uns après les autres dans une ambiance détendue. Pas de trac, ils n’en sont pas à leur premier exercice. Cela fait presque cinq ans qu’ils travaillent avec ce metteur en scène belge installé au Burkina Faso pour développer un projet de théâtre-action. «  Créé en Belgique, le Théâtre du Copion a pour objectif principal d’apporter le ­théâtre partout et pour tous en créant des spectacles, explique Georget Mourin. En outre, après chaque représentation, des animations ont lieu afin de susciter le débat et la prise de parole dans le public sur des sujets traitant de son quotidien. »

Les répétitions commencent sans décor ni costumes extravagants. Assis chacun dans un coin du salon, les yeux fermés, les comédiens récitent leur texte les uns après les autres. Très concentrés, ils s’imprègnent de leur personnage. Il y a là Fidèle et Adama, deux jeunes hommes qui jouent un fiancé et un père autoritaire, ainsi que Biba, dont la douceur de la voix contraste avec le caractère affirmé de la jeune Racky. Avant d’être comédiens, ils étaient tous animateurs au sein de l’ONG Asmade, association qui œuvre à l’amélioration de la condition humaine dans des secteurs comme la santé, l’assainissement de l’habitat, l’accès à l’eau et l’hygiène alimentaire. Asmade est aussi à l’origine du Paje, une maison des jeunes qui accueille des Burkinabés de la banlieue de Ouagadougou afin de les aider dans leur parcours d’insertion ­socio­­professionnelle. Dans ce pays comptant 13 millions d’habitants, dont la moitié est âgée de moins de 20 ans, le chômage des jeunes est l’un des problèmes majeurs.
À la suite d’un partenariat entre le Théâtre du Copion et Asmade, l’idée émerge de former des jeunes du Paje à l’autonomie théâtrale afin d’agir sur le terrain. C’est ainsi que les quatre animateurs démarrent cette aventure artistique et humanitaire. Pour Fidèle, le Théâtre du Copion se révélera salutaire. Georget rapporte : « Il entre au Copion alors qu’il est violent et à la limite de basculer dans la délinquance. Puis il prend goût au théâtre, s’assagit et progresse de jour en jour. » Le jeune homme de 27 ans ajoute : « À Ouagadougou, il y a un fort taux de chômage chez les jeunes. Moi-même, je n’avais pas de travail jusqu’en 2004. Mais aujourd’hui, grâce à Asmade et au Théâtre du Copion, deux autres jeunes et moi sommes devenus salariés. À présent, je rêve de devenir un grand acteur et de former une troupe théâtrale avec qui j’irai livrer des spectacles partout dans le monde. »

Les répétitions sont entrecoupées des directives de Georget, qui cherche à faire sortir le meilleur de ses comédiens, mais aussi de la pièce elle-même. Les œuvres sont écrites par le Copion, qui anime un atelier d’écriture avec les comédiens et des populations en difficulté. Les thèmes sont vastes (actualité, culture, vie quotidienne…), mais le but est toujours de pointer du doigt des questions de société afin d’éveiller les consciences et de susciter la réflexion. «  Le théâtre-action est né d’une démarche de révolte, précise Georget Mourin. L’intérêt est de valoriser la parole du public et de susciter le débat au travers de spec­tacles typiquement africains, dans le cadre du développement endogène. L’écriture collective peut avoir les mêmes qualités qu’un texte d’auteur car il y a toujours une exigence : il ne faut pas tomber dans l’exotisme mais rester dans le vrai avec une approche ethnographique. Ainsi, sur certains passages, je n’interviens que pour l’équilibrage des textes. »

À raison de trois ou quatre créations dans l’année, le Théâtre du Copion comptabilise 150 représentations et plus de 20 000 spectateurs par an. En plus de l’écriture, le lieu où se jouent les pièces est un autre aspect important du théâtre-action. « Il faut se rendre sur le lieu de vie des spectateurs. Notre structure légère avec décors minimalistes nous le permet, mais c’est surtout primordial car le théâtre reste un loisir réservé à une frange minime de la population urbaine » , affirme Georget. Au Burkina Faso, seules les classes sociales élevées peuvent se payer un billet dans une vraie salle de spectacle. D’où la démarche singulière du Théâtre du Copion : ce n’est plus au public de se rendre au ­théâtre, c’est le théâtre qui vient à lui.

Quand les comédiens arrivent à Pissy, en périphérie de Ouagadougou, l’endroit semble désert. Difficile d’imaginer que ce coin de terre accueillera bientôt une représentation théâtrale. Pourtant, en moins de dix minutes et avec trois fois rien, la troupe aménage le terrain en véritable petite scène. La voiture, garée en biais, fait office de coulisses. C’est derrière elle que les comédiens iront se changer ou se dissimuler une fois qu’un personnage quitte la scène. Des chaises prêtées par un groupement local de femmes sont installées face au véhicule, derrière lequel les comédiens commencent à se changer. Tout est en place, il ne manque que le public. Une petite agitation s’empare du lieu grâce au son du djembé d’Adama, signe qu’un événement va se produire. Les villageois sortent alors peu à peu pour voir de quoi il retourne à l’extérieur.

En quelques minutes, les habitants constituent un véritable public face à la scène improvisée pour la représentation. Pour beaucoup, il s’agit d’abord de satisfaire leur curiosité, mais celle-ci évolue progressivement en réel intérêt pour la pièce. Parmi les spectateurs, nombre d’enfants sont présents, installés sur des chaises disponibles, mais aussi sur un tas de terre ou de cailloux, une selle de vélo, un coin d’arbre. Sont présentes également beaucoup de mères de famille, tirées de leurs tâches ménagères, portant parfois un bébé dans les bras. Les hommes manquent aujourd’hui à cette représentation. Fidèle explique : « D’habitude, il y a beaucoup plus de monde, notamment d’hommes. Nous pouvons jouer devant 100, 200 personnes, mais aujourd’hui nous faisons une représentation dans un village très reculé. Et puis, en règle générale, nos représentations sont annoncées à l’avance par les associations de développement locales. Mais, aujourd’hui, cela n’a pas été fait, nous arrivons à l’improviste, cela explique donc pourquoi il y a moins d’affluence. »
La pièce est jouée en moré, une des langues les plus parlées au Burkina Faso. Toujours dans une démarche de proximité avec le public, il arrive au Théâtre du Copion d’adapter la langue d’une pièce en fonction du lieu où elle se déroule. Aujourd’hui, les comédiens joueront Ya Sida, pièce de théâtre ayant pour thème principal la prévention du sida. Accessible à un large public, cette œuvre comporte des chants et des danses traditionnels, mais aussi tous les renseignements nécessaires à la prévention. Ainsi, au milieu d’un jeu comique, les comédiens présentent le mode d’emploi de l’utilisation du préservatif. Les enfants rient et tapent dans leurs mains. Leur présence est importante, car ce sont eux qui seront confrontés dans quelques années à cette question de santé publique incontour­nable en Afrique.
L’efficacité du théâtre-action se révèle à ce moment-là, entre deux rires d’enfants. Réactions pour l’instant anodines et légères, mais qui feront peut-être toute la différence dans quelques années.

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