Le rapport qui dérange

Selon les altermondialistes, le document émanant de la commission présidée par Joseph Stiglitz a le mérite d’aller plus loin que ne le voudraient les pays du G8.

Thierry Brun  • 25 juin 2009 abonné·es

il s’agit pour l’instant d’un rapport d’étape de la commission pour la réforme du système financier et monétaire international, pilotée par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. Cette commission a été mise en place à la demande de l’assemblée générale des Nations unies, présidée par Miguel d’Escoto Brockmann. Et les responsables politiques du monde entier, réunis au siège de l’ONU, plancheront jusqu’au 26 juin sur ce document, disponible uniquement en anglais, dans le cadre de la conférence au sommet des Nations unies « sur la crise économique et financière mondiale, et son incidence sur le développement ».

Pour l’instant, il n’y a guère que les altermondialistes et quelques ONG de solidarité internationales à suivre attentivement l’évolution de ces débats. Et à souligner les divergences d’analyse entre le rapport de la commission Stiglitz et le récent G20 qui s’est réuni à Londres. Pourtant, dès le mois de mars, cette commission d’experts a présenté une série de recommandations portant « sur les interventions immédiates et les mesures à long terme qu’appelle le fonctionnement du système financier mondial ». Composée de spécialistes des finances et d’économistes originaires de toutes les régions et d’institutions diverses (on y trouve notamment Jean-Paul Fitoussi, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques), la commission Stiglitz n’est certes pas un repaire d’anticapitalistes et de marxistes.

Mais elle a publié un rapport d’étape pour améliorer l’architecture financière internationale qui vaut le détour, notamment parce qu’il comporte des « avancées » , estiment les économistes membres du conseil scientifique d’Attac Jacques Cossart et Dominique Plihon. Parmi elles, la mise en avant de la responsabilité du système économique et des institutions internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international, etc.). « Le principe de la compétition, le “chacun pour soi”, est vivement dénoncé et doit être remplacé par celui de la coopération », notent les deux économistes d’Attac.

Le rapport préconise aussi l’intégration de l’Organisation mondiale du commerce dans le système des Nations unies, un sujet tabou pour les États-Unis, avec l’idée de mettre en place une monnaie internationale et une devise mondiale de réserve pour contribuer à la stabilité et à l’équité économique.
La Commission d’experts jette aussi un pavé dans le jardin du G20 en proposant un nouveau Conseil de coordination économique mondial, élu et représentatif, qui se réunisse au niveau des chefs d’État chaque année pour évaluer les problèmes et coordonner les politiques. Il contient aussi ses faiblesses. « D’un côté, le rapport ne remet pas en cause le libre-échange généralisé, considère que la libéralisation des échanges est un avantage et met en garde contre le recours à des politiques protectionnistes. Mais, de l’autre côté, il indique que la libéralisation des marchés a eu des effets négatifs sur le développement et a accru les inégalités , relèvent Jacques Cossart et Dominique Plihon. Au total, le rapport ne condamne pas explicitement le dogme du libre-échange. Mais il fait des propositions au sujet des échanges internationaux qui, si elles étaient appliquées, constitueraient une remise en cause du libre-échange… »

Mi-chèvre mi-chou, le rapport de la commission Stiglitz instruit malgré ses défauts le procès de la mondialisation et servira de base à un document final pour l’assemblée générale des Nations unies prévue en septembre, avec deux autres rapports. Celui de l’Organisation internationale du travail s’en remet à un plan mondial pour l’emploi. Et celui de la Conférence des nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) présente une réforme du commerce mondial et des politiques de développement pour en finir avec les marchés financiers et les dumpings sociaux, mais sans remettre en cause, là non plus, le libre-échange.
« Ces trois documents sont porteurs d’un programme réformateur de l’économie mondiale qui pourrait servir de référence aux débats des Nations unies, expliquent Julien Lusson, membre du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale, et Gustave Massiah, ex-président du Centre de recherches et d’information pour le développement. L eur approche, souvent qualifiée de Green New Deal, préconise une régulation publique qui s’inspire de l’esprit de Bretton Woods et qui reprend à son compte quelques-uns des paradigmes keynésiens adaptés à une économie ouverte plutôt qu’à une régulation nationale, et à la prise de conscience des limites écologiques. »
Dans l’ensemble, l’initiative onusienne sur la crise globale met en lumière les véri­tables urgences, critique le modèle néolibéral et popularise des approches alternatives, dans un sens d’égalité et de justice sociale que n’ont pas envisagé les G8 et G20.

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