Logement : des appels au secours

Le service téléphonique mis en place par la Fondation Abbé-Pierre pour conseiller les personnes menacées d’expulsion a été pris d’assaut dès son inauguration.

Xavier Frison  • 11 juin 2009 abonné·es
Logement : des appels au secours
© Allô prévention expulsion : 0810 001 505 _ (coût d’une communication locale. Lundi-vendredi, 14 h-16 h 30). _ La Fondation Abbé-Pierre recherche une vingtaine de bénévoles pour assurer la permanence téléphonique. 01 55 56 37 00, _ http://www.fondation-abbe-pierre.fr

Elle n’en peut mais, Marie-Andrée. Appelée à la rescousse 48 heures après l’inauguration de la plateforme « Allô prévention expulsions » de la Fondation Abbé-Pierre, dont les trois lignes téléphoniques ont vite été saturées, la bénévole sort lessivée de sa première après-midi au bout du fil. Au débriefing, elle résume la situation des dix personnes qu’elle a écoutées et conseillées, « presque toutes de la région parisienne, et beaucoup de femmes seules » . « Le premier jour, on n’avait eu que des messieurs » , remarque Sylvie Guichard, directrice des missions sociales de la fondation. À Montreuil, une femme enceinte avec deux enfants, logée dans le parc privé, arrive en « fin de procédure, explique Marie-Andrée. L’intervention de la force publique a été accordée par le préfet. À partir du 1er juillet, elle peut être expulsée à tout moment. Quand on en est là, surtout dans le privé… Elle pleurait au téléphone. Mais tout n’est pas perdu : elle peut aller voir les élus locaux et les services sociaux pour faire une demande de logement » .

Lætitia, la juriste du trio, qui s’affaire au téléphone dans un minuscule bureau des locaux de l’organisation, dans le XIXe arrondissement de Paris, égrène les huit cas qu’elle a traités aujourd’hui. « Dans le département du Nord, une dame a reçu un jugement d’expulsion, elle ne se souvient pas avoir reçu d’assignation. Bon, le papier a pu passer à la poubelle, ce sont des personnes qui accumulent souvent beaucoup de problèmes et ne lisent plus toujours leur courrier. Je l’ai informée sur la suite de la procédure et lui ai conseillé de prendre contact avec une assistante sociale et le juge de l’exécution. »
Dans le XIVe arrondissement de la capitale, un retraité handicapé logé dans le parc privé a reçu un congé par lettre recommandée (le propriétaire peut reprendre son logement à expiration du bail s’il souhaite vendre ou habiter les lieux), applicable en août. « Il a déjà fait une demande en résidence pour personnes âgées, mais le délai est de six mois. Je l’ai aiguillé vers l’Espace solidarité habitat de la fondation. » Une femme dans l’Essonne, au RMI et logée par un bailleur social, est sous le coup d’un jugement d’expulsion. « Elle doit faire un Dalo [Droit au logement opposable] en urgence et négocier un maintien dans les lieux avec son assistante sociale » , préconise Lætitia.
Et puis il y a quelques appels de propriétaires, comme celui de ce bailleur de Metz reçu par Marie-Andrée : « Il n’est pas procédurier, mais s’inquiète de ne pas avoir de réponse aux courriers adressés à sa locataire, qui ne paye plus le loyer. Je lui ai conseillé de contacter la personne qui est ­caution et les services sociaux, voire de lancer un commandement de payer, ce qui peut toujours provoquer une réaction de la locataire et permettre d’engager les négociations. Enfin, ce n’est pas évident avec les proprios, on ne sait pas trop quoi dire. » À Marseille, une femme témoin d’une expulsion d’un voisin avec le concours de la force publique demande « ce qu’on peut faire pour cet homme, qui est en danger et va finir à la rue » . Soupirs dans l’assistance : « Elle doit appeler le 115 si jamais elle le revoit » , tente Sylvie.

Les répondants du 0810 001 505 ne sont pas des faiseurs de miracles. Juste des aiguilleurs dans le ciel chargé des procédures d’expulsion. « On donne aux personnes qui nous appellent des informations sur la réalité de la situation et on décrypte avec elles les papiers qu’elles ont reçus » , résume Sylvie Guichard.
On lâche aussi quelques « trucs » à savoir dans ces périodes difficiles, où les « gens sont souvent complètement affolés » . Ainsi, un huissier peut intervenir en étant assisté de gendarmes ou de policiers, « mais cela ne veut pas forcément dire que le préfet a demandé le concours de la force publique , révèle Sylvie. Ça, c’est dans un deuxième temps. Or, tant que le préfet n’a pas formellement accordé le concours de la force publique, on ne peut pas imposer à la personne de partir. Bien sûr, ce n’est pas une solution définitive, mais il peut être utile de le savoir. » Avant cette ultime étape, « il faut absolument être présent au tribunal, conseille-t-elle. On peut payer un avocat ou demander l’aide juridictionnelle, mais on peut aussi se présenter au tribunal tout seul. C’est important d’y aller en montrant tout ce qu’on a fait pour chercher un autre logement, commencer à payer une partie des dettes, montrer qu’on est de bonne foi. Les juges vont la plupart du temps plus facilement accorder des délais ou proposer un échéancier pour apurement de la dette dans ces conditions. Si la personne n’est pas là, les juges sont extrêmement sévères, n’accordent aucun délai, donnent de toute façon droit au propriétaire et prononcent la résiliation du bail. »

Dernier impératif, payer son loyer, tant qu’on le peut, coûte que coûte. « En parallèle des démarches pour faire mettre un logement aux normes ou régler un contentieux avec le propriétaire, il faut absolument payer son loyer, martèle Sylvie Guichard. Si le logement n’est pas apte à être loué, c’est le propriétaire qui est en faute. Dès lors que le locataire ne paye pas son loyer, il renverse la faute sur lui, et on ne demandera plus rien au propriétaire sur la qualité de son logement. »
Selon la Fondation Abbé-Pierre, entre 40 000 et 50 000 expulsions auraient eu lieu en 2008 sur le territoire français. Des chiffres en « constante augmentation ces dernières années » , commente Sylvie Guichard (voir encadré). En sus des licenciements massifs induits par la crise, les plus modestes continueront à payer des « loyers chers, même en HLM » . Marie-Andrée n’a pas fini de décrocher son téléphone.

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