Pas de maternelle pour les petiots

Nadine Morano, secrétaire d’État à la Famille, expérimente des « jardins d’éveil » pour les enfants de 2 à 3 ans. Une structure payante et moins encadrée qu’en crèche, qui permettra de fermer des classes.

Erwan Manac'h  • 25 juin 2009 abonné·es
Pas de maternelle pour les petiots

Face au manque criant de places en crèche, la secrétaire d’État à la Famille, Nadine Morano, expérimente une solution à moindre coût pour l’État. L’invention s’appelle « jardin d’éveil ». Un doux nom qui désigne une structure d’accueil spécialement dédiée aux enfants de 2 ans à 3 ans et demi. Le dispositif, à l’essai jusqu’en 2012, reste pour le moment entouré d’un épais flou. Mais il est déjà certain qu’il sonne la fin de l’instruction gratuite dès l’âge de 2 ans.

Pour un foyer vivant avec un Smic, une place en jardin d’éveil coûtera 42 euros mensuels (6,3 % du total) contre 178 euros pour des revenus supérieurs à quatre Smic (26 %). Des frais certes moins élevés que pour les crèches, mais qui détonnent face à la gratuité de la maternelle. D’après les premiers plans du ministère de la Famille, les jardins d’éveil seront aussi financés à 40 % par les Caisses d’allocations familiales (CAF). Le reste sera à la charge des « porteurs de projet »  : des entreprises, des associations ou plus probablement des collectivités locales. Une solution moins coûteuse pour l’État, qui devrait donc surtout reposer sur les municipalités.
Chez les professionnels de la petite enfance, on s’interroge sur la nécessité de créer cette structure s’ajoutant à celles qui existent déjà en dehors de la maternelle (jardins d’enfants, crèches d’entreprise, haltes-garderies, etc.). La secrétaire d’État assure que les jardins d’éveil apporteront une « réponse adaptée aux 2-3 ans » . Pourtant, rien n’a été dévoilé sur leur contenu éducatif.

Là encore, la réponse est à chercher du côté des économies budgétaires. L’encadrement, en jardin d’éveil, sera d’un adulte pour douze gamins. « C’est 50 % d’enfants en plus par rapport à une crèche » , peste Christophe Harnois, de l’Union nationale des syndicats autonomes petite enfance (Unsa). Les 8 000 places d’accueil qui s’ouvriront en jardin d’éveil en trois ans seront donc moins coûteuses que des places en crèche ou en jardin d’enfants.

La création de cette structure d’accueil s’inscrit aussi dans une politique de baisse du niveau de formation de l’encadrement de la petite enfance. Des décrets successifs, en 2000 et en 2007, et un récent projet de décret encore en discussion ouvrent progressivement plus de places à des diplômés moins formés, comme les BEP sanitaire et social. C’est un point essentiel de la critique de plusieurs associations du secteur : on affaiblit l’encadrement, en nombre comme en compétence, dans le seul objectif de réaliser quelques économies sur les salaires.
Surtout, avec les jardins d’éveil, le gouvernement mettrait un terme définitif à la scolarisation des moins de 3 ans. Le 3 juillet 2008, devant la commission des Finances du Sénat, le ministre de l’Éducation nationale exprimait très clairement sa volonté de déscolariser les 2-3 ans pour fermer des classes de maternelle. Et les chiffres montrent une volonté tacite du ministère, depuis 2002, d’imposer progressivement cette tendance. En cinq ans, le nombre d’enfants de 2 à 3 ans en maternelle a chuté de 32 % et ne représentait plus que 23 % de la tranche d’âge en 2007 (contre 34,7 en 2002, selon le ministère de l’Éducation). Ce mouvement est une conséquence de l’accroissement démographique, qui ne s’est pas accompagné d’une augmentation proportionnelle de la capacité d’accueil. À défaut de places, on oriente donc les moins de 3 ans vers des solutions alternatives.

Ces dernières années, la droite a développé, sur le terrain pédagogique, un discours clairement hostile à la scolarisation de cette tranche d’âge. En 2006, un rapport de Monique Papon et Pierre Martin, sénateurs UMP, lançaient l’idée des jardins d’éveil pour remplacer l’école, qui, selon eux, « n’a pas vocation à accueillir les enfants de 2 ans. Elle n’est pas adaptée à leur rythme de sommeil, à leurs besoins d’isolement ou de mouvement » , observaient-ils. « La scolarisation précoce, concluaient-ils même, ne compense pas les écarts de réussite liés à l’appartenance sociale. » Faux, rétorquent des voix convergentes d’universitaires et de pédagogues. « L’école maternelle exerce un rôle positif sur la scolarité ultérieure des élèves, juge Bruno Suchaut, directeur de l’Institut de recherche sur l’éducation (Iredu). Elle contribue également à l’équité sociale en offrant à tous les parents un lieu d’apprentissages cognitifs et sociaux gratuit pour leurs enfants. »

« Cela présente des avantages dans la compréhension orale, la familiarité avec l’écrit et les compétences numériques, estime de son côté Agnès Florin, professeur de psychologie de l’enfant et de l’éducation à Nantes. Cela bénéficie tout particulièrement aux zones d’éducation prioritaires [ZEP] et aux milieux défavorisés et très défavorisés. »
Le problème central reste en effet que, pour les familles, les jardins d’éveil seront un pis-aller en l’absence de places en maternelle. Les familles les plus pauvres devraient se tourner vers eux parce qu’ils seront moins coûteux que les autres structures. « Il y a donc, observe Agnès Florin, un risque de ségrégation sociale. »

Société
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