Sa hargne et son courroux

Jean-Claude Renard  • 18 juin 2009 abonné·es

Le 18 avril 1988, une dépêche de l’AFP tombait dans toutes les rédactions : « Desproges est mort d’un cancer. Étonnant, non ? » Difficile de ne pas croire à une blague. Desproges avait pourtant prévenu : « Moi, je n’aurai jamais de cancer ! Je suis contre ! » La publication intégrale de ses spectacles, de ses Chroniques de la haine ordinaire et des sévices commis au Tribunal des flagrants délires ont rendu largement compte de ses facettes. Cinglant Dieu et les gendarmes, les barreaux aux fenêtres, les paparazzis collaborateurs à J e suis partout , les marches forcées et les lois collectives, les footeux, les starlettes du festival de connes. Sale gosse turbulent, canuleur déconnant, conscient de l’éphémère, fin dribbleur de mots, de sens, poussant toujours du côté de la provocation, Desproges. Il se voyait plutôt écriveur qu’écrivain. Reste un travail de styliste, sculpteur de la phrase, au coin de l’ironie et de l’humour, avec sa virgule assassine, une manière de faire sauter les sentences, de s’amuser de la ponctuation.
Un pêle-mêle d’irrévérences où se bousculent « les amis qui se comptent sur les doigts de la main du baron Empain, un con de la radio moins voyant qu’un con de la télé, Jack Lang en frétillante endive frisée de la culture en cave et Jacques Séguela, qui a su mieux que personne rehausser le vinaigre algéro-italien au rang de saint-émilion, la merde en boîte au niveau du cassoulet toulousain, et le revenant de la Quatrième au rang d’homme providentiel ». Forcément, des insolences qui prêtent à rire.

Pas piqué des hannetons, Desproges y est allé en costaud façon fort des Halles : « On me dit que des Juifs se seraient glissés dans la salle… Vous pouvez rester… N’empêche qu’on ne m’ôtera pas l’idée que, durant la dernière guerre mondiale, de nombreux Juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du règne nazi  […]. Arborant une étoile à sa veste pour montrer qu’on n’est pas n’importe qui ! Qu’on est le peuple élu ! Et pourquoi j’irais pointer au Vélodrome d’hiver ? Et qu’est-ce que c’est, ces wagons sans banquettes ? Et j’irai aux douches si je veux !… Quelle suffisance ! Mais je me méfie des rumeurs. Quand on me dit que si les Juifs allaient en si grand nombre à Auschwitz, c’est parce que c’était gratuit, je pouffe… » On peut s’interroger sur ce qui serait accepté, voire acceptable, dans le discours de Desproges aujourd’hui. De pleines bordées de diffamation en route sans doute. Et un libertaire décapant, sans contrainte.

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