Après la crise…

Gérard Duménil  • 9 juillet 2009 abonné·es

Jusqu’à aujourd’hui, la gestion de la crise s’est faite dans l’urgence. D’abord, la sauvegarde du système financier, au prix de l’injection de grandes masses de crédits et de quelques nationalisations. Puis le soutien de l’activité, au prix d’emprunts massifs de l’État. La présentation par le Président Obama d’un plan de réglementation financière, le 17 juin, a ceci de nouveau qu’elle définit le premier aspect du nouvel ordre susceptible de prévaloir « après la crise ». Le projet relance la polémique entre ceux qui voient dans la crise actuelle un simple incident de parcours dont le néolibéralisme se remettra allégrement, et ceux qui pronostiquent un dépassement. Le dispositif envisagé signale-t-il un changement radical ou un simple ajustement ? Les opinions divergent. Certains professionnels de la finance s’étonnent du peu d’ambition du plan, alors que d’autres diagnostiquent un renforcement majeur de l’appareil bureaucratique.
Ce qui frappe surtout est l’indétermination. Le plan ne revêt pas la forme d’une liste d’interdictions ou de restrictions des pratiques qui ont été, entre autres facteurs, à l’origine de la crise. On pense, notamment, au marché hypothécaire : aux subprimes, à la titrisation, à la spéculation autour de l’assurance des crédits… Interdites, les innovations les plus radicales ? N’y songez pas. Outre le renforcement des responsabilités de la banque centrale, il s’agit de la création d’institutions de contrôle : un Conseil de surveillance des services financiers, une Agence de protection financière des consommateurs. Le Bureau de supervision des institutions d’épargne (1) laissera la place à un nouvel organisme. Ce sont ces organismes qui définiront les règles, mais cela sans mandat précis. « Il faut, certes, davantage de réglementation, afin d’éviter les abus. Combien ? Comment ? On verra. » Tout est donc possible sur un large éventail, entre presque rien et une nouvelle finance. La politique est un art difficile.

Cette indétermination, bien prudente, est révélatrice de la nature du processus et des conditions politiques générales. En l’absence d’un mouvement populaire puissant, d’une lutte de classes comparable à celle qui prévalut dans l’entre-deux-guerres, tout se joue entre gens biens. Ceux d’en haut. Pas de précipitation, pas de victimisation !
Ces observations donnent-elles raison aux tenants de la thèse de l’immobilisme ? Après la crise comme avant la crise ? En aucune façon. Elles soulignent, en fait, les ambiguïtés d’une notion aussi douteuse que celle d’une « fin de la crise » dont témoignerait un événement précis, comme le retour à des taux de croissance positifs. Déjà l’incertitude est grande quant à la datation d’un tel rétablissement. L’économie mondiale est-elle au fond de la récession ? Peut-être. Mais combien de temps lui faudra-t-il pour en sortir ? De quelle nature sera la reprise : vigoureuse, timide, stable ou instable ? Le point crucial est que ce retour de la croissance ne réglera aucune des questions fondamentales. La crise proprement « financière » est-elle bien achevée ? Les nouvelles institutions de contrôle mettront-elles un terme à l’expansion des mécanismes financiers des années 2000 ? Qu’adviendra-t-il de l’endettement des ménages, de la dette de l’État ? Qui les financera ? Le dollar résistera-t-il à la nécessité du financement des déficits ? Comment et avec quelle efficacité sera menée une politique monétaire dans un monde globalisé où les capitaux circulent librement ?
Ce qui donnera ses caractères au nouvel ordre social s’inscrit dans la durée d’un tel « après-crise » aux contours mal définis : la détermination d’une trajectoire soutenable, un défi. Et, concernant les États-Unis et l’Europe, restera posée la question de comment enrayer le déclin relatif vis-à-vis des pays dits « émergents ».
Il faudra être très fort ou céder bien du terrain. Le président des États-Unis peut créer des agences ; celles-ci seront peut-être en mesure d’éviter certains « excès ». Mais pour pronostiquer le contenu des transformations et juger de leur ambition, il faut attendre que la mesure soit prise des véritables problèmes et que les conséquences en soient tirées. Ils sont devant.

(1) Office of Thrift Supervision.

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