De beaux lendemains ?

Dans « Adieu Gary », Nassim Amaouche
raconte la vie des habitants d’un village ouvrier en déshérence.

Christophe Kantcheff  • 17 juillet 2009 abonné·es

Une voiture roule sur des rails de chemin de fer, pneus défaits, comme une locomotive. Certes, au début, la voiture est dans un tunnel et se dirige peu à peu vers le jour, à l’image de Samir (Yasmine Belmadi), que son frère Icham (Mahmed Arezki) est venu chercher à sa sortie de prison. Mais l’impression n’est peut-être pas si positive : Samir et Icham sont contraints de suivre le parcours des voies, sans autre itinéraire possible, sous prétexte que ce mode de transport offre un raccourci, qui, finalement, ne s’avère pas plus rapide. Liberté recouvrée, mais liberté contrainte : les premières images ne mentent pas sur ce que sera Adieu Gary , premier long métrage de fiction de Nassim Amaouche, très ancré dans un réel pesant.

Samir est de retour chez lui, un village dans le sud de la France, une cité ouvrière désertée par l’entreprise locale délocalisée, un bourg, comme beaucoup d’autres, où il ne se passe plus rien, un de ces très nombreux trous du cul du monde. Le père de Samir (Jean-Pierre Bacri), ouvrier poussé en préretraite, s’occupe en réparant secrètement une machine de l’usine où il travaillait, qui est en train d’être peu à peu déménagée. Une voisine (Dominique Reymond), vivant seule elle aussi avec un fils qui ne fait plus qu’attendre en silence son père, qui a quitté le domicile conjugal, se fait quelques revenus en testant des médicaments. Sinon, ça glande sec. Hormis quelques minables trafics de shit, dont Samir, qui ne veut plus y retoucher, a payé le prix en prison.

Pour Samir, pour tous les personnages du film, la seule question qui devrait prévaloir est : comment s’en sortir ? Ou comment faire pour que ce village ne soit plus ce à quoi il est réduit : un décor sans existence, le témoignage d’un passé qui ne reviendra plus. Les hommes sont sans doute les plus passifs : nostalgiques, les retraités vivent dans leurs souvenirs ; les jeunes, eux, attendent que ça se passe. Pour se sentir exister, pour avoir un frisson, certains inventent des jeux dangereux, comme celui de rester le plus longtemps possible face à un train qui fonce, droit devant. Et ce qui semble être la seule possibilité de travail (légal), le supermarché du coin, où le frère de Samir est employé à réapprovisionner les rayons, est humiliant : les salariés y sont affublés de costumes ridicules pour la promotion des produits. Si Icham se résigne à porter des oreilles de souris pour «  la semaine du fromage » , Samir refuse très vite ce « boulot de merde ».

Peu d’espoir, dans Adieu Gary , mais pas non plus de désespérance, ni de glauque complaisance dans le naturalisme. Nassim Amaouche soigne ses plans (il y en a de très beaux, comme celui de Bacri traversant le village à bicyclette), utilise la musique sensuelle du Trio Joubran, ne récuse pas la tendresse ni les histoires d’amour, entre la voisine et le père de Samir, entre Samir et Nejma (Sabrina Ouazani), qui, elle, s’en sortira littéralement en s’exilant à Paris. Adieu Gary touche juste, mais avec discrétion : quand l’ancien local syndical du village est vidé pour être remplacé par une mosquée, qui offrira aussi un accueil à des associations de soutien scolaire mises en sommeil, le film ne tient aucun discours. Il montre simplement qu’une nouvelle époque s’ouvre sans doute. Dans laquelle Samir, résolu à garder sa dignité, devra trouver sa place.

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