De l’eau dans le gaz

Pour favoriser son projet de gazoduc, Moscou instrumentalise les désordres dans le Caucase.

Claude-Marie Vadrot  • 17 juillet 2009 abonné·es
De l’eau dans le gaz

Les autorités russes, à la recherche de causes susceptibles de faire oublier la crise économique que vit le pays, s’efforcent depuis quelques semaines de mettre à profit, voire d’instrumentaliser, les remous du Caucase pour ranimer un ressentiment contre ceux que la population appelle les «  culs noirs » et qui sont de plus en plus victimes d’actes racistes dans la capitale. Avant que le nouveau « dictateur » de l’Ingouchie (république caucasienne voisine de la Tchétchénie) soit victime d’un attentat kamikaze, le 22 juin dernier, la mobilisation générale des forces armées et policières avait déjà été décrétée dans la région. Iounous-Bel Evkourov, le président ingouche, un ancien général parachutiste nommé à l’automne 2008, gravement blessé, a été transporté à Moscou, et c’est à présent le Kremlin qui gère directement la petite république, dont deux responsables ont été assassinés depuis le début du mois de juin.

L’Ingouchie, dont la situation rappelle celle de la Tchétchénie voisine avant la guerre qui n’a pas fini de la ravager, a été placée sous « régime d’opération antiterroriste ». Ce qui équivaut à une loi martiale faisant disparaître tout ce qui pouvait y subsister de démocratie. Même situation confuse au Daghestan, où les violences militaires et policières sont désormais aussi fréquentes qu’au pays des Ingouches, avec tout ce que cela implique de paralysie d’une économie moribonde qui a fait grimper le chômage des jeunes au-dessus de 50 % dans toute la région. Sur place, les rares observateurs internationaux et les responsables des quelques organisations humanitaires encore tolérées dans la région expliquent qu’il devient partout de plus en plus difficile de faire le tri entre les provocations d’éléments liés aux services spéciaux russes, les règlements de compte entre clans et ethnies, et la délinquance entretenue autour des trafics de drogue et la corruption.

Au même moment, les agences officielles russes et la télévision diffusent depuis plusieurs semaines des images de l’armée russe sur le pied de guerre aux frontières de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, les deux provinces géorgiennes qu’elle a occupées pour en faire des « républiques indépendantes ». Le pouvoir russe compte bien utiliser les « menaces » qui pèsent sur le Caucase comme arguments dans les négociations qui se poursuivent avec l’Union européenne sur le gaz russe et son acheminement par le futur gazoduc Nabucco, qui doit passer à travers la Géorgie pour évacuer le gaz des nouveaux gisements du Kazakhstan. Un peu de désordre estival dans le Caucase, outre sa finalité intérieure, permettrait d’impressionner la Commission européenne. L’instabilité dans la région pourrait torpiller Nabucco, soutenu par l’Union européenne et les États-Unis, et relancer le projet South Stream, dominé par le consortium russe Gazprom, qui relierait la Russie à l’Italie en passant sous la mer Noire et en Bulgarie. Du bon usage des violences interethniques…

Monde
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