Développer ? La question est bien là

Jean-Marie Harribey  • 17 juillet 2009 abonné·es

La chronique « Changer d’ère » de Fabrice Flipo ( Politis , n° 1060), intitulée « Ce qu’il faut développer… »*, entendait répondre à la mienne, « Que faut-il développer ? » ( Politis , n° 1052).

Il pense que je choisis le « développement » contre le « bien commun ». Je précise que, depuis vingt ans, j’explore avec d’autres la possibilité de redéfinir le développement humain autour justement du « bien commun », notamment dans mon premier livre, l’Économie économe (L’Harmattan, 1997), et dans mon dernier, Raconte-moi la crise (Bord de l’eau, 2009), à partir de la redéfinition radicale des finalités du travail humain et donc de l’économie. Dire que j’élude les fins est donc une affirmation visant à me disqualifier, mais dénuée de fondement.

Une discussion plus approfondie est nécessaire autour de la question de savoir si les services ont une empreinte écologique inférieure ou égale à celle des biens. Fabrice Flipo pense qu’elle est égale. Aucune donnée disponible ne confirme cette assertion. L’empreinte des services est loin d’être nulle, mais, de façon globale, elle est inférieure à celle des biens. Le problème est donc d’éviter l’effet rebond qui compenserait la diminution de l’intensité en ressources de chaque unité de service produite.
Considérer la monnaie comme un des éléments d’homogénéisation sociale est tout ce qu’il y a d’anticlassique comme vision de l’économie. La comptabilité matière ne remplace pas la comptabilité des valeurs monétaires, elle la complète. Et elle s’articule avec le refus de l’hypothèse libérale de substituabilité du capital manufacturé aux ressources naturelles épuisées, refus dont j’ai montré les fondements dans l’Économie économe. En réalité, à la racine de l’incompréhension qui semble s’installer chez nombre d’écologistes, il y a l’ignorance de la distinction entre la valeur d’usage (c’est-à-dire le « service rendu » par le bien ou le service, dont parle Fabrice Flipo et que non seulement je partage complètement mais que j’ai moi-même contribué à réhabiliter) et la valeur d’échange monétaire.

Il s’ensuit une autre incompréhension à propos de la notion de productivité du travail, qu’il faut distinguer du productivisme. L’objectif est certes d’améliorer la qualité de la production, et la proposition de Fabrice Flipo vise à rapporter la qualité du service rendu, par définition non mesurable, à une quantité de matières, qui, elle, est mesurable. C’est proprement impossible, et cette impossibilité renvoie à l’irréductibilité de la valeur d’usage à la valeur d’échange. Toute affirmation contraire ne peut que rejoindre la vision néoclassique de l’économie.

Je ne reprends pas la discussion sur l’évolution du PIB dans une économie écologique, car on ne peut savoir à l’avance avec certitude ce qu’il en adviendrait. Que, lorsque le PIB chute en cas de récession, le poids écologique diminue, personne ne le niera. Mais c’est autre chose de prévoir si une hausse de la valeur unitaire de chaque bien ou service, inévitable si la production est de qualité, sera ou non compensée par la diminution des quantités produites. Enfin, il faut éviter de confondre la corrélation entre l’évolution de la production et le besoin de ressources naturelles avec une imputation de la valeur économique créée à la nature. Pour le coup, nous serions en pleine « naturalisation » d’un phénomène anthropologique.

Pour conclure provisoirement, le débat
ne manque pas de sel, car le titre du texte de Fabrice Flipo s’inscrit dans la problématique que j’ai posée et que pourtant il conteste : il s’agit bien de savoir ce qu’il faut développer, et cela dans une perspective écologiste dont personne n’a le monopole.

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