Le retour de la contradiction

La naissance de l’altermondialisme, à la fin des années 1990, marque la reconstitution d’un pôle de contradiction planétaire au néolibéralisme.

Patrick Piro  • 23 juillet 2009 abonné·es

«C’est le renouveau de l’imaginaire !» , s’extasiait le philosophe Patrick Viveret en 2001, alors que le premier Forum social mondial (FSM), tenu à Porto Alegre (Brésil), laissait les participants un peu abasourdis, avec le sentiment de vivre un moment historique. Ce que l’on nommera le mouvement altermondialiste, en gestation depuis quelques années, venait de se donner un projet, en décrétant qu’« un autre monde est possible ».
La chute du Mur, en dissolvant l’opposition idéologique patentée au capitalisme, a laissé pendant une décennie toute une mouvance militante – sociale, solidaire, écologiste, etc. – ballottée par la progression sans entrave du néolibéralisme.

Avant 1989, il y avait deux (ou trois) mondes. Depuis, il n’y en avait plus qu’un, accouché d’une pensée unique.
Imaginaire bloqué : que proposer pour enrayer la machine à broyer ?
Des actes, mais peut-être plus, des symboles.

La rébellion s’est cristallisée autour de la mondialisation. Le démontage du McDo de Millau par José Bové et quelques membres de la Confédération paysanne, en août 1999, touche juste par sa ­théâtralisation expressive : le roquefort authentique et local casse du hamburger planétaire standardisé. Trois mois plus tard, des milliers de manifestants humilient à Seattle (États-Unis) l’Organisation mondiale du commerce (OMC), fer de lance de la gouvernance néolibérale, en mettant en échec la réunion ministérielle qui voulait prendre pied dans les années 2000 en la dotant d’un cycle de négociations « du millénaire ».

Dans la bataille des mots également, les militants décrochent une victoire symbolique en s’imposant rapidement, auprès des médias, comme « altermondialistes » quand ils étaient désignés de manière ambiguë comme « antimondialistes » – terme teinté de nationalisme.
La consistance de cette mouvance s’est vérifiée en plusieurs occasions. En particulier, elle fait plus que résister au raz-de-marée de la doctrine antiterroriste déclenchée par Bush après les attentats du 11 septembre 2001. En 2003, l’appel à manifester contre la guerre en Irak donnera lieu à l’une des plus importantes mobilisations planétaires de l’histoire. Au point que le Financial Times saluera le mouvement altermondialiste comme la seule alternative au projet de Bush pour la planète.
L’association Attac, créée en 1998, joue un rôle central dans son essor international. D’abord centrée sur la création d’une taxation des transactions financières, elle contribue de manière décisive à la naissance du Forum social mondial, rendez-vous annuel de l’altermondialisme. Une référence qui s’est aujourd’hui diluée, à mesure que la mouvance s’élargissait et cherchait sa voie.

C’est en effet un attelage très composite, qui agrège des luttes dont le dénominateur commun est le rejet du système néolibéral dominant : mouvements sociaux – syndicats, femmes, paysans, indigènes, mouvements de « sans » (voir encadré), etc. –, organisations de solidarité internationale (commerce équitable et éthique, aide au développement, etc.), environnementalistes, anarchistes, militants politiques d’extrême gauche, décroissants, chrétiens, etc. Les vieux lutteurs pétris de marxisme, venus nombreux respirer cet air nouveau à ses débuts, s’en sont vite rendu compte : il ne s’agissait pas d’une résurgence de la classique lutte des classes, mais d’un ensemble assez peu idéologisé, sans pilote et conscient que sa diversité est une force nouvelle. Ainsi, un nombre croissant de groupes continue de se reconnaître de la mouvance altermondialiste, en particulier hors d’Europe et d’Amérique du Sud, les deux continents où elle s’est formée.

Si l’altermondialisme connaît depuis quelques années une forme de normalisation (c’est-à-dire que les médias s’en désintéressent), la crise globale qui a explosé l’an dernier est venue ranimer le jugement du Financial Times en 2003. Début 2009, s’étonnant de la qualité de certaines propositions entendues lors du FSM (tenu à Bélem, au Brésil), c’est cette fois-ci The Economist qui titrait : «Cher capitalistes, reconnaissez que vous vous êtes trompés [^2]. »

[^2]: «Dear capitalists, admit you got it wrong», 5 février 2009.

Publié dans le dossier
Chute du Mur : 20 ans après
Temps de lecture : 4 minutes