Les citoyens déminent le terrain

Les ressources du Pérou sont bradées aux intérêts privés. Face aux transnationales minières, le combat des peuples indigènes pour la terre s’organise.

Claire Lamorlette  • 23 juillet 2009 abonné·es
Les citoyens déminent le terrain
© Capaj (Pérou) : Tomas Alarcon, . Maison andine-Paris, Wayna Limache : .

«De l’eau, oui, des entreprises minières, non ! » , clament les milliers de manifestants qui convergent sur les places de Tacna, au sud du Pérou. Nous sommes en octobre 2008. Grève générale, rues transformées en champs de bataille, concerts de casseroles, blocage des ­routes, état d’urgence, tirs de l’armée… Bilan pour la ville et sa région : plusieurs dirigeants emprisonnés, deux morts, des dizaines de blessés, des centaines d’arrestations. Depuis, les tanks de l’armée veillent dans les rues de la ville.

« Les entreprises minières viennent empoisonner l’eau, l’environnement, détruire le paysage ! , s’indigne Amelia H., paysanne aymara. Nous produisons du maïs pour faire de la ­farine et du pain. À Tarata, on ne voit plus les crapauds ni les canards sauvages, alors qu’il y en avait des centaines dans la région. Tout cela à cause des mines et des engrais chimiques. Les mines doivent cesser de tuer nos montagnes, comme celle de Palca. Sinon, il ne nous restera plus que des trous, des galeries. En échange de quoi ? La mort. » Le Pérou, pays exportateur de minerais et deuxième producteur mondial d’or après l’Afrique du Sud, multiplie ces dix dernières années les concessions aux compagnies ­privées transnationales, provoquant catastrophes écologiques et misère. Seuls 10 % des profits réalisés par les transnationales reviennent au pays, sur lesquels l’État devrait théoriquement redistribuer 2 % au développement local des populations, mineurs et paysans indigènes. Mais cette grande braderie à but lucratif a un autre prix : la destruction de l’environnement et des cultures autochtones.

La résistance citoyenne au pillage orchestré par les présidents néolibéraux successifs, de Fujimori à Alan Garcia [^2], s’exprime dans les coins les plus reculés et pauvres du pays, là où vivent les peuples originaires des Andes et d’Amazonie. Toutes ethnies confondues, les indigènes du Pérou représenteraient 40 % de la population. Dernièrement, dans la seule région de Tacna, quelque 700 concessions ont été octroyées à des entreprises minières, en violation de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) « sur les peuples indigènes et tribus dans les pays indépendants », adoptée par le Pérou, et de la Constitution péruvienne.

La présidente du Front de défense de l’environnement de Tacna (Fradma), Nora Melchor, assure que le projet d’exploitation de la zone de Pucamarca « apportera la mort et la misère à toute la région ». L’extraction de l’or est une activité extrêmement polluante, vorace en mercure, en cyanure et en eau, ce que tente de dissimuler Minsur, l’exploitant du site. Le projet, il est vrai, devrait générer un profit estimé à 1 275 millions de dollars…
Si les barrages routiers ont été levés dans le sud du Pérou, la lutte se poursuit sur le plan juridique. Pour l’eau, le respect des droits des communautés indigènes, et la sauvegarde de zones archéologiques et préhistoriques fragiles situées autour de ­Tacna. Des dizaines de dossiers ont été déposés devant les tribunaux. La Commission juridique pour le développement autonome des peuples originaires des Andes (Capaj) a saisi à maintes re­prises l’OIT, l’Unesco, le haut-commissariat aux Droits de l’homme et le Comité pour l’éradication des discriminations raciales (Cerd) de ­l’ONU. Cas exemplaire, l’affaire Poma, défendue par Tomas Alarcon, avocat et président de la Capaj devant le Comité des droits civils et politiques des Nations unies à Genève, donne une dimension internationale à la lutte menée par les Aymaras et les Quechuas pour protéger l’eau et les écosystèmes. Dans son avis rendu le 6 avril dernier, ­l’ONU a enjoint l’État péruvien à réviser sa législation ou toutes les mesures qui violent les droits des indigènes frappés par le détournement des eaux sur leurs territoires, qui affecte leur mode de vie. « Ce qui signifie, note Tomas Alarcon, *que les prochaines mobilisations sur le terrain seront ­davantage prises en compte et, surtout, que Lima doit renoncer à la privatisation de l’eau. Notre combat continue. »
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Personne ne veut d’un nouveau Cerro de Pasco, zone minière sinistrée à 4 300 mètres d’altitude, au centre du pays, où la situation est dramatique : campagnes ravagées, bidonvilles, cancers et intoxications par pollution. Mais la mobilisation paye. En 2004, dans la province de Cajamarca, au Nord, la révolte des paysans quechuas est parvenue à expulser du mont Quilish la ­géante aurifère Yanacocha, dont la compagnie nord-américaine Newmont Ltd est l’actionnaire majoritaire. ­Cette année-là, 60 000 hommes et femmes venus des villes et des campagnes unissaient leurs forces au cours d’une longue marche pour chasser prospecteurs et extracteurs de cette montagne sacrée dans la culture quechua. Et Yanacocha, qui exploite dans cette province la plus grande mine d’or à ciel ouvert ­d’Amérique latine, a dû céder. L’espoir est permis.

[^2]: Alan Garcia (parti nationaliste Apra) est président du Pérou depuis juillet 2006. Soupçonné de fraude, d’enrichissement illicite et de corruption durant son premier mandat (1985-1990), il échappe aux poursuites et mène une vie paisible à Paris avant de rentrer au pays pour y reprendre sa carrière politique.

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