Mesurer la diversité : le casse-tête

Dans le cadre du modèle républicain, l’utilisation de statistiques dites «ethniques» fait débat. Avant le dossier consacré au sujet à paraître dans le prochain Politis , le point sur cette question qui transcende les clivages habituels.

Politis.fr  et  Emma Villard  • 16 juillet 2009 abonné·es
Mesurer la diversité : le casse-tête

_ Pour combattre les discriminations, il faut pouvoir les mesurer. Comment ? C’est là que les opinions divergent : faut-il ou non instaurer des statistiques de la diversité en France ? Les outils existants sont-ils suffisants pour lutter contre les discriminations ? Ce sont ces questions qui agitent actuellement deux instances. Le Comité pour la mesure et l’évaluation des discriminations et de la diversité (Comedd) a été mis en place par le nouveau « commissaire à la diversité et à l’égalité des chances », Yazid Sabeg. Celui-ci a été chargé par Nicolas Sarkozy « d’identifier, d’évaluer et de proposer les catégories d’observation mobilisables, dans le cas de la France, pour la mesure et l’évaluation de la diversité et des discriminations » . Le comité devait rendre son rapport fin juin mais la date butoir a été repoussée au mois de septembre. Partant, le contre-rapport que préparaient en parallèle 22 scientifiques « contre les statistiques ethniques » est paru avant, le 29 juin, sous le titre Le Retour de la race (éditions de l’Aube).

Les 22 anthropologues, juristes, sociologues, philosophes, statisticiens, démographes et géographes réunis au sein de la Commission alternative de réflexion sur les « statistiques ethniques » et les discriminations (Carsed) refusent l’instauration d’un système d’ethnicisation de la société et défendent l’extension d’instruments existants. Enquêtes publiques sous l’égide renforcée de la Halde, du Conseil national de l’information statistique (Cnis) et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) ; CV anonymes (dont les décrets d’application sont toujours en attente) et testing. Faut-il aller plus loin ? La question de la mesure des discriminations divise car elle touche au sacro-saint principe de l’indivisibilité républicaine. Comment, dès lors, mesurer les distorsions de l’égalité réelle sachant que la loi « Informatique et liberté » du 6 août 2004 interdit de collecter des « données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes » ? Le point sur les outils à disposition et le débat qu’ils engendrent.

Les outils statistiques actuels
_ Deux cas sont à distinguer : celui des fichiers de recherche et celui des fichiers de gestion. La statistique publique ou la statistique de recherche réalise des enquêtes sur échantillon (anonyme) à des fins de connaissance générale. C’est par exemple le cas des recensements nationaux. Les questionnaires peuvent explorer les origines, comme le pays de naissance des parents, voire recueillir des données plus sensibles, comme les appartenances religieuses ou l’apparence physique.
Il en va tout autrement des fichiers de gestion qui opèrent sur un mode permanent, exhaustif et nominatif (fichiers du personnel, des élèves, des locataires…) et peuvent être utilisés par le commanditaire de l’étude. Mais la législation interdit pour l’heure d’y introduire des données sur les origines ou les apparences. La différence est radicale avec les pays anglo-saxons, où les employeurs sont tenus de collecter de telles données au nom de la lutte contre les discriminations.

L’enquête « Trajectoires et origines »
_ Le lancement de l’enquête « Trajectoires et origines » (Teo) a largement été associée à la polémique sur les statistiques ethniques. En particulier la volonté de ses concepteurs d’introduire une question sur la couleur de peau. D’où la décision du Conseil constitutionnel de considérer comme contraire à la Constitution la collecte de données faisant référence à la race ou à l’origine ethnique. La question litigieuse ayant été retirée, les concepteurs de cette enquête réclament l’instauration de nouveaux outils de mesure : « Les questions d’intégration et de discrimination occupent une place importante dans les débats publics. Mais aujourd’hui la France manque encore de statistiques nationales permettant d’étudier ces phénomènes. L’enquête Teo est conçue pour combler ces lacunes. » Teo a pour ambition de récolter non seulement des informations sur les pays d’origine et les langues parlées, mais aussi sur les appartenances ethniques déclarées ainsi que sur les principales qualités perceptibles qui peuvent servir de support à des discriminations : couleur de peau, tenue vestimentaire, accent, appartenance religieuse ou ethnique, pratiques alimentaires… Le recueil de ces données est licite, à condition qu’elles soient pertinentes pour l’enquête et qu’elles aient reçu l’assentiment des enquêtés. Sans oublier, bien sûr, l’autorisation de la Cnil.

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