Statistiques ethniques : un débat piégé

Une instance est chargée par Nicolas Sarkozy de trouver les moyens de mesurer la diversité en France. Au-delà des clivages droite-gauche, cette question divise les citoyens et les chercheurs. Outil contre les discriminations ou processus d’ethnicisation de la société ?

Ingrid Merckx  • 17 juillet 2009
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Statistiques ethniques : un débat piégé

Faut-il instaurer des statistiques ethniques en France ? Le débat, qui a pris un tour polémique pendant la présidentielle de 2007, a été relancé le 23 mars avec la création d’un Comité pour la mesure et l’évaluation des discriminations et de la diversité (Comedd). Une instance nommée par le nouveau « commissaire à la diversité », Yazid Sabeg, que Nicolas Sarkozy a chargé « d’identifier, d’évaluer et de proposer les catégories d’observation mobilisables, dans le cas de la France, pour la mesure et l’évaluation de la diversité et des discriminations » . Le glissement sémantique est d’importance car il témoigne d’une volonté d’éviter le terme « ethnique », qui fâche à gauche comme à droite en ce qu’il remet en cause l’article 1er de la Constitution garantissant l’égalité des citoyens devant la loi, sans distinction. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel s’est opposé, le 15 novembre 2007, à la collecte de données faisant référence à la race ou à l’origine. Idem pour les commissions Mazeaud et Veil mandatées en juillet 2008. Le Président a donc affirmé, le 17 décembre 2008 : « Si la question des statistiques pour mesurer les inégalités et les discriminations liées à l’origine est ouverte, la question d’une politique fondée sur des critères ethniques ou religieux doit être close. » Exi t les « statistiques ethniques » au profit d’instruments pour « mesurer la diversité ». Loin d’évacuer la polémique, cette opération pourrait même la renforcer. Car la conjoncture n’est pas neutre, et la question des « statistiques de la diversité » divise la société, la gauche et les chercheurs.

En effet, comment appréhender le « principe de diversité » sous Nicolas Sarkozy ? Cette carte de la diversité pourrait lui permettre de racheter l’impopularité (certes relative) d’une politique xénophobe, et de prétendre que la lutte contre la discrimination serait « passée à droite ». Cependant que la gauche s’écharpe sur le sujet. Le 19 février, 129 élus socialistes ont défendu une proposition de loi autorisant la réalisation d’études sur le « ressenti d’appartenance » . Depuis, une autre partie du PS a repris la position de SOS Racisme condamnant les « assignations communautaires » . Reflet d’un divorce entre ceux qui envisagent des statistiques de la diversité comme outil efficace contre les discriminations, et ceux qui y voient un pas vers une ethnicisation de la société.
Dans ce contexte, la question est piégée, et piégeuse : les défenseurs des statistiques de la diversité se retrouveraient, de fait, dans le camp du Président et du « communautarisme », tandis que les réfractaires feraient le jeu d’une égalité républicaine virtuelle paralysant la lutte active contre les discriminations. Derrières ces faux-semblants, la question des statistiques a des implications multiples. Philosophiques : le débat sur le racial évince-t-il celui sur le social ? Politiques : comment lutter contre les discriminations et les inégalités, et dans quel but ? Et scientifiques : avec quels outils ? Pour l’heure, le débat se tient surtout sur le terrain scientifique, autour de deux instances : l’« officielle », le Comedd, présidé par François Héran, directeur de l’Ined, qui compte certes des chefs d’entreprise mais aussi le vice-président de la Halde, Claude-Valentin Marie, le vice-président de la Ligue des droits de l’homme, Malik Salemkour, le sociologue Michel Wieviorka et le sociodémographe Patrick Simon. Et la Carsed, commission « indépendante » montée en opposition à la première par vingt-deux scientifiques – dont le démographe Hervé Le Bras, le sociologue Jean-François Amadieu et la juriste Gwénaële Calvès – qui estiment que le Comedd ignore le débat : les scientifiques y seraient minoritaires et tous favorables aux statistiques ethniques.

Ironie : la publication du rapport officiel étant repoussée à septembre, le contre-rapport est paru avant, le 29 juin. Autre problème : les experts du Comedd feraient figure de caution scientifique pour le pouvoir et ceux de la Carsed d’alternatifs. Sauf que le débat scientifique ne se résume pas à « pour ou contre les statistiques ethniques ». Il s’articule autour de questions telles que : peut-on mesurer, quoi mesurer et dans quel but ? Les outils existants suffisent-ils ? Données objectives (lieu de naissance) ou subjectives (le « ressenti d’appartenance » ) ? Arme antidiscrimination ou nouveau mode de fichage ? Membre de la Carsed, le démographe Hervé Le Bras explique en quoi, dans le jeu politique actuel, des statistiques ethnoraciales engendreraient des divisions sans effet contre les discriminations. De son côté, le politologue Daniel Sabbagh interroge la fiabilité d’un nouvel item, le « ressenti d’appartenance », entré dans la danse via le commissaire à la diversité. Dans ce débat, méthodes et lexique sont loin d’être secondaires.

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