Un militant de l’accueil

Décédé le 23 juin, Saïd Bouziri s’est battu toute sa vie en faveur des étrangers en France. Son ami Driss El Yazami, qui le côtoyait notamment à la Ligue des droits de l’homme, retrace ici son parcours.
Driss El Yazami  • 2 juillet 2009
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Avec le décès à Paris, le mardi 23 juin, de Saïd Bouziri, disparaît une des plus grandes figures de l’immigration du dernier demi-siècle. Né le 4 juin 1947 à Tunis, arrivé en France en 1966 pour poursuivre des études d’économie à Lyon, Saïd Bouziri fait alors partie de cette première génération d’étudiants maghrébins scolarisés après les indépendances du Maghreb, marqués par le double effet de la défaite des armées arabes en juin 1967 et les événements de Mai 68, et qui découvrent en France la réalité de ceux que l’on appelle encore les travailleurs immigrés. Vivant à la marge de la société, quasi invisibles, inexistants sur le plan politique. Et c’est à l’affirmation de cette présence politique de l’étranger dans l’ordre national que Saïd aura consacré une bonne partie de sa vie militante, d’une richesse et d’une diversité rares.

Étudiant-travailleur, Saïd Bouziri participe à la fondation des Comités Palestine puis du Mouvement des travailleurs arabes, qui rassemblent étudiants en rupture de ban et jeunes travailleurs, puis du Comité de défense de la vie et des droits des travailleurs immigrés, qui accueillent les premiers noyaux de militants français solidaires. Il est visé en 1972 avec sa femme, Faouzia, par une mesure d’expulsion du territoire pour atteinte à l’ordre public ; ils entament une grève de la faim en plein quartier de la Goutte d’or, qui a un grand retentissement. C’est en effet une des premières grèves de la faim organisées par des immigrés depuis la guerre d’Algérie et qui permet en outre une mobilisation des grands intellectuels français à propos de l’immigration. Titulaire des années durant d’un titre de séjour provisoire renouvelable tous les mois (sa carte de séjour finissait par rassembler à un carnet à souches qui nous faisait sourire), Saïd Bouziri se lance dans l’organisation active des grèves de la faim pour la régularisation des années 1972-1973 puis dans l’appel, en septembre 1973, à une grève générale de travail des travailleurs immigrés contre la vague raciste du Midi de la France. Ces actions ne sont pas sans susciter de vifs débats avec la gauche et une partie de l’extrême gauche françaises, qui estiment qu’une organisation autonome menace « l’unité de classe » ou qui réprouvent la grève de la faim, qui ne ferait pas partie de la tradition ouvrière.

C’est aussi l’époque où Saïd Bouziri et ses compagnons présentent un candidat immigré symbolique aux élections présidentielles de 1974. Impliqués dans une grève de la faim pour la régularisation de travailleurs maghrébins, pakistanais et mauriciens, ils craignent que le scrutin organisé après le décès de Georges Pompidou n’étouffe leur lutte. D’où cette initiative originale : le candidat, un jeune gréviste de la faim tunisien, porte un double nom : Djellali Kamal, composé à partir des prénoms d’une victime du racisme et d’un militant menacé d’expulsion, manière de signifier aussi les autres combats des communautés immigrées : le refus de l’intolérance et le droit à la vie civique. Grâce à René Dumont, candidat écologiste, et à Alain Krivine, candidat de la Ligue communiste révolutionnaire, ce discours, hérétique pour l’époque, passe même à la télévision.

Durant la deuxième moitié des années 1970, Saïd Bouziri milite pour l’essentiel dans le quartier qu’il a habité jusqu’à son décès : la Goutte d’or, en créant une association culturelle d’animation du quartier et une librairie rue Stephenson, et participe de manière active au comité de soutien au mouvement de grèves des loyers des foyers Sonacotra. Après avoir été l’un des fondateurs des journaux Sans Frontière  (1979-1986) puis Baraka, il est aussi l’un des pionniers des radios libres : en juin 1981, il crée avec ses amis Radio Soleil Goutte d’or. À la veille des élections municipales de 1983, qui voient émerger le Front national, il est parmi les fondateurs du Collectif des droits civiques, petit regroupement qui incite les jeunes d’origine étrangère à s’inscrire sur les listes électorales.

Membre du conseil d’administration du Fonds action social (FAS), du Conseil national des populations immigrées et du conseil d’administration de la Fonda, Saïd Bouziri participe en 1987 à la création de l’association Génériques, dont il fut le président, jusqu’à son décès. En 1989, l’association organise la première grande exposition sur l’histoire de l’immigration en France et a réalisé depuis un travail colossal sur cette histoire, dont notamment un inventaire de toutes les sources de l’histoire de l’immigration, publié en quatre tomes de plus de 4 000 pages.

Responsable de la Commission immigrés de la Ligue des droits de l’homme puis trésorier national (il venait d’être réélu à cette fonction le 2 juin, lors du dernier congrès de la LDH), Saïd Bouziri a animé jusqu’à sa mort la campagne de la votation citoyenne, en faveur de l’octroi du droit de vote aux étrangers aux élections locales.
Engagé dans la vie syndicale de son entreprise jusqu’à sa retraite, Saïd Bouziri a toujours gardé une sensibilité particulière aux plus démunis, dont les sans-papiers, et à l’action de terrain. C’est ainsi qu’il a animé, aux côtés notamment de l’anthropologue Emmanuel Terray, le troisième collectif des sans-papiers, qui a mobilisé de nombreux travailleurs irréguliers d’Asie. Directeur de publication de la revue Migrance, revue spécialisée dans l’histoire de l’immigration, Saïd Bouziri donnait le 11 juin dernier le coup d’envoi à une grande exposition accueillie aux archives municipales de Lyon, intitulée « Générations, un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France », et qui sera visible à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration à Paris à partir du 17 novembre prochain.

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