Bonus, paradis fiscaux : agir ici et maintenant

Thomas Coutrot  • 27 août 2009 abonné·es

Les dirigeants des banques américaines et britanniques se dépêchent de rembourser les fonds avancés par l’État pour recommencer à se verser des rémunérations faramineuses. En mars dernier, 700 cadres de Merryl Lynch se versaient 4 milliards de dollars alors même que la banque déclarait 27 milliards de pertes pour 2008. Malgré des pertes de 20 milliards de francs suisses, UBS vient d’annoncer le versement de bonus à hauteur de 2,5 milliards à ses traders et dirigeants. En octobre dernier, la Confédération helvétique avait pourtant injecté 6 milliards pour sauver la banque. BNP Paribas, après avoir touché 5 milliards d’euros de fonds publics dans le cadre du plan de sauvetage des banques, annonce 1 milliard d’euros pour ses cadres et traders en 2009. La rubrique « scandale des bonus » devient une rubrique permanente de la presse internationale.
Nicolas Sarkozy va réunir l’ensemble des banques françaises le 24 août pour s’assurer de leur respect des engagements pris par le G20 en avril dernier en matière de rémunération des traders. Or, le G20 s’est contenté de recommander aux banques, non pas de modérer le volume des bonus ou de les supprimer en cas d’exercice déficitaire, mais de mieux les lier aux risques des opérations réalisées par le trader : si celui-ci a permis un gain à court terme grâce à un placement très risqué à moyen terme, la banque doit attendre le moyen terme pour verser le bonus. Ce beau principe « oublie » un détail : la crise a démontré jusqu’à l’absurde que les modèles mathématiques de calcul du risque utilisés par les petits génies de la finance ne valaient rien. Les banques ne savent pas apprécier les risques.

Le G20 a donc fait de simples « recommandations », floues, dérisoires et sans valeur juridique, auxquelles les banques n’auront aucun mal à se conformer sans rien changer. Chaque banquier justifie le versement des bonus par le jeu de la concurrence entre banques : « Moi aussi, j’aimerais moraliser tout ça, mais, si je ne les paie pas bien, mes meilleurs traders iront chez le concurrent. » Prenons un instant cet argument au sérieux. La réponse semble évidente : c’est aux pouvoirs publics d’aider les banquiers, en plafonnant, par la fiscalité, le montant des rémunérations, comme l’a fait Barack Obama (seulement pour les banques qui doivent de l’argent à l’État), et en nationalisant les banques sous perfusion.
La question des paradis fiscaux se pose de la même façon : chaque banquier affirme qu’il aimerait bien fermer ses filiales paradisiaques, mais qu’il ne peut pas si ses concurrents ne le font pas eux aussi. Il suffirait donc que les États régulent cette concurrence en interdisant à l’ensemble des banques qui opèrent sur leur territoire de poursuivre leurs transactions avec les paradis fiscaux.

Les bonus des banquiers et les paradis fiscaux vont continuer à focaliser le débat politique et social pendant des années. Mais demander à nos gouvernants de résoudre le problème est largement inopérant. Néolibéraux ou sociaux-libéraux, Sarkozy ou Strauss-Kahn, ils ont tous adhéré à la logique et au pouvoir de la finance. Les sommets de l’État et ceux de la finance sont peuplés des mêmes individus interchangeables, qui vont de conseil d’administration en cabinet ministériel et vice-versa. Ils continueront de recommander d’inoffensifs « codes de bonne conduite » ou de prendre des mesures cosmétiques pour calmer l’opinion.
C’est par l’action directe que les citoyens se feront le mieux entendre et pourront commencer à changer le rapport des forces. Élaboration par les salariés et leurs syndicats, les clients et les associations, d’un Top 50 des banques, où elles seraient classées en fonction de critères sociaux et environnementaux. Actions symboliques et festives devant les sièges des pires banques. Action citoyenne de salariés mobilisés et d’usagers responsables qui demandent des comptes à leur banquier. Migration collective des usagers vers les institutions les plus propres, notamment celles de la finance solidaire… Pourquoi ne pas s’y mettre tous ensemble ? L’opinion publique est indignée par les pratiques des banquiers et de l’industrie financière. La société civile doit inventer les outils qui permettront aux citoyens de peser. Et de commencer à dessiner un système bancaire contrôlé par la population et à son service.

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