Défense de s’évader dans la mort

Les suicides se succèdent dans les établissement pénitentiaires, mais les politiques de prévention restent inadaptées. Et la population carcérale continue d’augmenter.

Ingrid Merckx  • 27 août 2009 abonné·es
Défense de s’évader dans la mort

Un suicide ou une mort suspecte tous les trois jours en détention. Selon Ban public, l’association pour la communication sur les prisons et l’incarcération en Europe, 94 suicides ou morts suspectes ont été répertoriés depuis janvier. Tel est le triste bilan des prisons françaises, aggravé, le 21 août, par le décès d’un homme de 60 ans retrouvé pendu dans sa cellule de la maison d’arrêt de ­Bordeaux-Draguignan. Le lendemain, Ban public publiait un communiqué réclamant « la vérité sur la réalité des chiffres quant aux conditions et lieu réel du décès » , et précisant : « Les familles et proches souhaitent une vraie prise en compte de leur souffrance et une aide directe de la part de l’administration pénitentiaire. » Celle-ci doit prendre ses responsabilités : au 1er août, les prisons hébergeaient 62 420 détenus pour 51 000 places. La situation est critique, mais les politiques publiques continuent à proposer des réponses inadaptées.

Le 18 août, la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, a annoncé un programme d’action contre le suicide en milieu carcéral. Initié en réalité le 1er juillet, en application d’une circulaire de l’ex-garde des Sceaux, Rachida Dati, datée du 15 juin, ce plan s’inspire du rapport de la commission présidée par Louis Albrand. Ce médecin a soulevé une polémique cet été en accusant les autorités d’avoir édulcoré certaines conclusions du rapport. « Je m’attendais à mieux de Michèle Alliot-Marie, aurait-il déclaré, e t je suis triste parce que, si mes mesures avaient été appliquées dès décembre dernier […], on aurait sauvé des dizaines de vies cette année. » Le plan d’action du ministère décline une série de mesures de prévention et de protection des détenus les plus vulnérables – formations spécifiques pour les personnels pénitentiaires, « kits » de protection – et promet davantage de transparence sur le nombre de suicides. Mais il vise à « empêcher matériellement la personne de mettre fin à ses jours et, d’autre part, à prévoir les comportements auto-agressifs » et non à améliorer les conditions générales de détention, déplore l’Observatoire international des prisons (OIP). Le plan d’action pousse même la logique à l’absurde, s’indigne l’OIP, en signalant une mesure qui prévoit de charger des détenus volontaires d’accompagner les prisonniers en situation de détresse psychologique. Ce genre de pratique avait été dénoncé en 2008 dans une prison par la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Pourquoi les détenus se substitueraient-ils aux surveillants et à la puissance publique ? Et que se passe-t-il s’ils échouent ?

Une «  politique de prévention n’est légitime et efficace que si elle cherche, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension d’acteur et de sujet de sa vie » , rappelle la circulaire du 29 mai 1998 relative à la prévention des suicides dans les établissements pénitentiaires. « Elle implique d’opérer des transformations radicales dans le mode de fonctionnement des établissements pénitentiaires pour limiter la souffrance et le sentiment de disqualification que provoque la vie derrière les murs » , ajoute l’OIP.

Les prisons françaises sont vétustes, manquent de personnels sociaux et médicaux, un tiers environ des détenus souffrent de troubles mentaux et sont mal ou pas accompagnés… « On tourne en rond, déplore la journaliste Florence Aubenas, nouvelle présidente de l’OIP. En 2008, 71 % des 115 détenus suicidés avaient fait l’objet d’un signalement, mais aucune mesure n’a suivi. » Selon un rapport publié par le ministère de la Justice en juillet, et notamment du fait de lois comme celles sur les peines « plancher », la population carcérale pourrait monter à plus de 80 000 détenus en 2017. L’OIP réclame une mission d’urgence susceptible de réorienter le projet de loi pénitentiaire qui sera soumis à l’Assemblée le 15 septembre.

Société
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

À la frontière franco-britannique, la parade de l’extrême droite, entre associations inquiètes et forces de l’ordre passives
Reportage 6 décembre 2025 abonné·es

À la frontière franco-britannique, la parade de l’extrême droite, entre associations inquiètes et forces de l’ordre passives

Sur la plage de Gravelines, lieu de départ de small boats vers l’Angleterre, des militants d’extrême droite britannique se sont ajoutés vendredi 5 décembre matin aux forces de l’ordre et observateurs associatifs. Une action de propagande dans un contexte d’intimidations de l’extrême droite. Reportage.
Par Pauline Migevant et Maxime Sirvins
Comment le RN a monté en épingle l’enfarinement de Bardella pour s’attaquer aux syndicats
Analyse 5 décembre 2025 abonné·es

Comment le RN a monté en épingle l’enfarinement de Bardella pour s’attaquer aux syndicats

Après avoir qualifié son enfarinement de « non-événement », Jordan Bardella et des députés du Rassemblement national ont été jusqu’à interpeller le ministre de l’Éducation nationale pour infamer les « syndicats d’extrême gauche » qui encourageraient « la violence politique ».
Par Pauline Migevant
« J’estime être victime de harcèlement » : Sand, réprimée pour rappeler la loi à un député ex-RN
Récit 5 décembre 2025

« J’estime être victime de harcèlement » : Sand, réprimée pour rappeler la loi à un député ex-RN

À chaque événement public où se trouve Daniel Grenon, la militante d’Extinction Rebellion brandit une pancarte rappelant que « le racisme est un délit ». Un acte pour lequel elle a été convoquée plusieurs fois au commissariat et reçu un avertissement pénal probatoire.
Par Pauline Migevant
À Rennes, l’errance des mineurs isolés, abandonnés par l’État
Reportage 5 décembre 2025 abonné·es

À Rennes, l’errance des mineurs isolés, abandonnés par l’État

Plus de 3 200 jeunes étrangers attendent en France qu’un juge reconnaisse leur minorité. Pendant des mois, ces adolescents vivent à la rue, sans école ni protection. À Rennes, des bénévoles tentent de combler les failles d’un système qui bafoue les droits fondamentaux de l’enfant.
Par Itzel Marie Diaz