Sarko-show à la Sorbonne

Jean Gadrey  • 17 septembre 2009 abonné·es

Nicolas Sarkozy a retenu trois grands principes du développement durable : récupération, réutilisation et recyclage. Il les applique essentiellement… aux idées des autres. Cela lui assure de petits succès médiatiques à court terme, autre chose étant ce qu’il en fait dans la durée. On l’a bien vu avec le quasi-torpillage de l’idée d’une taxe sur l’énergie, très souhaitable si elle est progressive dans le temps, taxant aussi l’électricité, d’emblée articulée avec des investissements réorientant la production, et liée à un projet de fiscalité plus juste. Aucune de ces conditions n’est remplie avec la minable taxe focalisée sur le seul carbone. On peut penser qu’il en ira de même après le show que le Président vient de faire à la Sorbonne le 14 septembre au début d’une journée consacrée à la présentation du « rapport Stiglitz » sur de nouveaux indicateurs de progrès, de bien-être et de soutenabilité.
L’idée : elle a été récupérée au Grenelle de l’environnement, où elle était portée par des acteurs de la société civile depuis longtemps impliqués. Réutilisation orientée : la réalisation du rapport a été confiée à un groupe d’experts internationaux (plus de 90 % d’économistes, plus de 90 % d’hommes) sans dialogue avec la société civile, dans une conception surannée de l’expertise « indépendante » (semblable à la fameuse indépendance de la BCE). Recyclage partiel : les résultats ne manquent pas d’intérêt, car c’est sans doute la première fois qu’un tel cénacle remet fortement en cause la domination du sacro-saint PIB et de la mesure de la croissance vue comme symbole de progrès. Cela peut avoir un impact positif. Cela fait quand même dix ans que d’autres (Dominique Méda, Patrick Viveret…) l’ont écrit en France !

Mais, du fait même que ces experts ont travaillé en chambre, certaines propositions restent marquées par un économisme qui aurait pu être évité avec une méthode et une composition plus ouvertes. Penser, par exemple, que le développement durable d’un pays peut être mesuré par un indicateur synthétique où tout est exprimé en monnaie, y compris le patrimoine de ressources naturelles ou les risques climatiques (en oubliant en route la dimension sociale et la dimension démocratique de la soutenabilité) est un pur mirage et une usine à gaz à côté de laquelle la mesure du PIB est un modèle de perfection et de clarté…
À un moment où quelques économistes un peu plus lucides, dont Paul Krugman, nous expliquent que les économistes (pas tous, mais beaucoup…) sont en déroute avec leurs modèles sophistiqués et coupés du réel, on ne trouve rien de mieux que de ressortir de la boîte à outils un abominable modèle néoclassique « d’optimisation intertemporelle » comme voie de construction d’un indicateur de soutenabilité politiquement inutile et bourré de choix arbitraires. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Peut-être pour conserver envers et contre tout le monopole de l’expertise.

Mais la grande question qui se pose désormais est celle du passage des rapports et des discours aux actes. Quand, comment et avec qui va-t-on bâtir ces nouveaux repères d’un progrès partagé et durable, et lesquels ? Comment seront-ils effectivement utilisés comme boussoles de politiques impulsant la « grande réorientation », par exemple comme fondements d’autres critères de convergence en Europe ?

Silence radio du Président sur ces questions clés ! En revanche, de pleines brouettes d’envolées lyriques, du genre : « Nous sommes dans une époque où la question centrale de la politique est celle du modèle de développement, du modèle de société, celle de la civilisation dans laquelle nous aspirons à vivre » … et bla-bla, et bla-bla. Rideau de fumée opaque à base de grands mots empilés et mal recyclés.
Rien ne changera, ni pour le modèle de société ni pour ses nouveaux repères, si la société civile (syndicats, associations, territoires, etc.) ne se met pas en mouvement coordonné. En s’appuyant sur tout ce qui existe, et qui est riche, y compris le rapport Stiglitz et le rapport du Conseil économique et social, dans lesquels il y a du grain à moudre, et en exigeant la mise en place de processus démocratiques, du local à l’international.

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