Coup de chaud sur les vins français

Appellations menacées, vignes arrosées, grands crus coupés d’eau, vinifications transgéniques… La foire aux vins devient une foire d’empoigne en raison du dérèglement climatique. Sauf pour les vins bios.

Claude-Marie Vadrot  • 22 octobre 2009 abonné·es
Coup de chaud sur les vins français

Combien des « bonnes » bouteilles proposées dans les foires au vin qui ont submergé pendant quelques semaines les grandes surfaces contiennent-elles un breuvage additionné d’eau ? Pas de réponse précise à cette question : le sujet est tabou dans les milieux viticoles. Pas question d’avouer qu’à cause du réchauffement climatique de plus en plus de vignerons mettent de l’eau dans leur vin ou le désalcoolisent discrètement par le biais d’un procédé dit d’osmose inversée. Des pratiques surtout utilisées par les grands vignobles. Les vignerons, qui sont partis en croisade médiatique pour que la Commission de Bruxelles n’autorise pas la fabrication de rosé par le mélange de rouge et de blanc, font actuellement pression sur Mariann Fischer Boel, la commissaire à l’Agriculture, pour que l’Europe autorise la désalcoolisation des vins. En expliquant que cela se fait désormais couramment aux États-Unis et en Australie : argument qu’utilisait la Commission pour justifier le mélange du rouge et du blanc.
Depuis quelques années, une partie du vignoble français, jusqu’en Bourgogne, produit des vins titrant jusqu’à 15 ou 16 % d’alcool (ou degrés), parfois 17 % dans le Sud, malgré toutes les astuces, avouables ou non, utilisées lors de la vinification. Avec de fortes teneurs en alcool et en sucre, ils ne sont pas imbuvables. Juste différents et invendables sous leur étiquette habituelle. En 2003, année emblématique à partir de laquelle le phénomène a commencé à s’accélérer, des vins de Bordeaux étaient aussi forts, aussi chargés que des Rioja, qui ne titrent jamais moins de 14 degrés. Il existe un remède, paraît-il miracle : utiliser lors de la vinification des levures génétiquement modifiées. Certaines cuvées en ont déjà discrètement fait l’expérience. Mais vendre du vin OGM semble difficile, et ceux qui l’ont déjà fait ne s’en sont pas vantés.

Explication : l’ensemble du cycle annuel de la vigne et de son raisin est décalé, accéléré. Ce décalage entraîne un raccourcissement de la période de mûrissement du raisin, notamment en modifiant le moment où le fruit change de couleur. Avant, cette maturation se produisait essentiellement en août. Désormais, elle commence en juillet. Ce qui explique l’avancée régulière, depuis une quarantaine d’années, de la période des vendanges : vingt et un jours depuis 1945 pour le chateauneuf-du-pape. Plus pour d’autres. Les vins développent une alcoolisation plus forte et des goûts nouveaux qui correspondent de moins en moins aux caractéristiques d’un certain nombre d’AOC. « Avec 2 degrés de plus, estime Bernard Seguin, de l’Inra, on peut s’en sortir. Mais, à 4 degrés, c’est le jeu de massacre. » Au début, les vignerons se sont réjouis de pouvoir produire des vins un peu plus forts, un peu plus ronds, un peu plus chargés en tanin. Aujourd’hui, ils déchantent et cherchent des remèdes qui n’existent pas. Sauf dans les labos chimiques qui jouxtent trop de caves. Dans le Languedoc, des vignes sont régulièrement irriguées, mais ce n’est qu’un palliatif, une mesure de retardement avant une échéance qui effraie tellement que la règle est le silence.

Si le réchauffement et les perturbations inhérentes continuent, avec leur cortège de gel imprévu, de nuits trop fraîches, de périodes d’ensoleillement trop longues, il faudra revoir tout le classement des AOC, dont beaucoup remontent à 1920. Tout l’édifice de la réputation vinicole française pourrait être mis à bas. Déjà, si les règles d’homologation des cuvées étaient strictement suivies, 20 à 25 % des crus mis en vente devraient être déclassés en vins de table. Non pas parce qu’ils sont « mauvais » – tout est affaire de goût –, mais parce qu’ils ne correspondent plus aux cahiers des charges. Pour retrouver des conditions climatiques acceptables, il faudra faire grimper les vignes en altitude. Ce qui revient à déclasser des terroirs pour en classer d’autres. Un bouleversement pour une profession, des perspectives de faillites. De plus, il faudra, sauf en Touraine, changer de nombreux cépages, aussi bien en Champagne que dans le Bordelais. Objectif : obtenir des vignes plus résistantes aux maladies déclenchées par les sautes de climat, et dont les raisins mûrissent plus lentement. Actuellement, proportionnellement aux surfaces occupées, la vigne est l’une des cultures – avec les pommes – où l’utilisation de produits chimiques est la plus importante. Les vignes génétiquement modifiées ne sont pas loin. Les porte-greffe transgéniques de l’Inra détruits en septembre à Colmar préfiguraient le vignoble de l’avenir. Le coupable s’est dénoncé, et le jugement a été mis en délibéré au moment où le tribunal administratif de Strasbourg annulait l’autorisation de cet essai, considéré comme illégal.

Dernier recours des grandes sociétés du Bordelais ou d’ailleurs qui ne croient plus aux manœuvres de retardement et de bricolage : quitter la France. Depuis quelques années, des grands vignobles achètent des terres dans le sud de l’Angleterre, en Lituanie et même en Chine et en Russie. Dans une vingtaine d’années, estiment les experts, les vins du Bordelais seront produits non loin des côtes de la Manche sur le sol anglais. À Bordeaux, d’autres feront du vin espagnol. Une telle révolution menace que personne n’ose évoquer l’avenir, pendant que les grandes maisons de champagne achètent des terres dans le Sussex et le Kent.

Les seuls vignerons qui ne s’inquiètent pas sont ceux qui ont opté pour la culture biologique de leurs vignes. Ce qui explique sans doute qu’entre 2007 et 2008 les surfaces en vignes bios aient augmenté de 25 %. Mathieu Coste, qui cultive un peu plus de cinq hectares de coteaux du Giennois en bio, à la limite du Loiret et de la ­Nièvre, explique ce paradoxe : « La concentration de gaz carbonique dans l’air aide nos ceps à augmenter naturellement la productivité du végétal. Le ­ré­chauffement nous aide à limiter nos traitements autorisés, le cuivre et le souffre, et il nous permet de mettre encore moins de sulfite lors de la vinification. Et nous n’aurons plus jamais besoin d’avoir recours à du sucre pour augmenter le taux d’alcool de nos vins. Ces circonstances nous permettent d’offrir un vin de plus en plus naturel et qui se gardera mieux. » Installé dans le Bordelais, Jean-Marie Carité, responsable des éditions d’Utovie, grand spécialiste de la culture naturelle et rédacteur en chef de Vin Bio Infonet, confirme : « Pour des vins de consommation rapide, le CO2 de l’air peut parfaitement remplacer les sulfites. Et le nouveau climat permet à notre vin bio de moins se charger en tanin. » Et il ajoute : « Si ce qui se passe dans les vignes et dans le bricolage de retardement arrive sur la place publique, le Bordelais va fermer boutique. » De quoi le rendre optimiste pour l’avenir du vin bio.

Tous les spécialistes du bio sont d’accord : les nouvelles conditions climatiques sont bénéfiques à des vignes cultivées et à des vins élaborés dans des conditions plus naturelles, ne relevant pas d’une chimie complexe. À titre d’essai, l’année dernière, Mathieu Coste a même osé une vinification au gré des saisons : ses cuves ont quitté ses caves pour s’installer dans un abri de plein air, laissant le vin mûrir au gré des saisons et des changements de température. Le bon résultat lui a donné raison.

Écologie
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