La rébellion permanente

Christophe Alévêque présente son dernier spectacle au théâtre du Rond-Point, à Paris. Libertaire, âprement drôle et décapant. Indispensable par les temps qui courent.

Jean-Claude Renard  • 22 octobre 2009 abonné·es
La rébellion permanente
© Christophe Alévêque est Super Rebelle !… Enfin, ce qu’il en reste, théâtre du Rond-Point, 2 bis, av. Franklin-D.-Roosevelt, Paris VIIIe, jusqu’au 14 novembre, tlj sf lundi, 18 h 30. À lire : le Petit Alévêque illustré, recueil de notes, de définitions et d’aphorismes, entrelardés de 150 dessins, la plupart signés par l’équipe de Siné Hebdo (éd. Chiflet et Cie).

Avec Debout ! (point d’exclamation compris), en 2006, au Casino de Paris, Christophe Alévêque ouvrait son spectacle sur « ce qui ne va pas » dans le bas monde. Qui tient à pas grand-chose. À un moustique seulement tenace dans une foutue campagne, « qui ne sert pas plus qu’un ministre de l’Environnement, qui dérange, te pompe, file le palu aux pauvres, pourrit la vie des riches au bar de leur piscine, dans un monde ultralibéral qui vénère le travail, surtout celui des autres » . Debout, Alévêque cinglait le positivisme de Carrefour, la ligne éditoriale de TF 1 qui fout les foies, « parce que quand les gens ont peur, on en fait ce qu’on veut » , s’esclaffait sur ­l’enfant-roi, les religions, la vie en ­couple, la langue de bois des langues de pute, la tolérance zéro, le béni-oui-oui du « boire avec modération ». Avant de porter ses coups saillants sur Jacques Chirac et, déjà, Nicolas Sarkozy. Comédien avant tout, Alévêque a fait de la scène un décryptage de la politique. Humour engagé (à gauche) et satire sociale.
Avec Christophe Alévêque est Super Rebelle !… Enfin, ce qu’il en reste, mis en scène par Philippe Sohier, encadré toujours par ses trois musiciens (accordéon, guitare et batterie), le comédien humoriste, conservant pareille verve derrière un sous-titre un tantinet défaitiste, décoche des flèches du même tonneau. Avec une suite de textes (qu’il écrit lui-même) ciselés au cordeau. L’humeur est poussive au commencement, voire désabusée. Puis virevoltante. Il martyrise les détails de la vie quotidienne, vocifère ses craintes de la nature désespérément humaine, gifle les adolescents morveux, « gastéropodes neurasthéniques », tente de redresser un sexe en berne, étrille l’allégeance générale, courtise l’absurde, retrousse les manches de la modernité. Forcément quand, avec Facebook, « tu fais le travail des RG à leur place ! ». Ça médit, maudit dans l’excès noir, pousse encore du côté de la chanson, permettant au spectacle de respirer, de bousculer les rythmes.

À mi-chemin du temps imparti, collé aux basques de l’actualité, turbulent, en transe d’ironie et d’humour mordant, il dresse un bilan de la situation : édifiant, forcément. Le ton de sa revue de presse se fait incisif, la ponctuation corrosive. Sans détour ni main morte. Depuis 2006 et Debout ! , Nicolas Sarkozy, baptisé Zébulon, a été élu, talonné par la crise. La mistoufle est partout. Et la matière dense. Roselyne Bachelot incarne au poil la grippe porcine, Frédéric Mitterrand le ministère de la dilatation et Rama Yade le bon quota : « Une Noire au gouvernement, 35 000 dans les charters. » Au bout d’un rouleau compresseur, Alévêque n’exagère jamais assez. « Il faut être compétitif, a dit le PDG de France Télécom. Compétitif ! Il doit être content : 25 suicides en 18 mois, il est leader sur le marché ! » De quoi fêter le premier anniversaire de la crise financière dans le maelström délétère : « Avant, la banque était un endroit où l’on donnait son argent pour qu’on te le prête… Maintenant, c’est pour qu’on te le vole ! Et pour récompenser les voleurs, on a prêté de l’argent aux banques à un taux d’intérêt dérisoire : 21 milliards en France, 130 milliards en Europe, 700 milliards aux États-Unis, 1 000 milliards au FMI ! […]. T rois mois avant, les caisses étaient vides ! […] Il faut moraliser le capitalisme… Autant moraliser la peine de mort ! » Alévêque ne correctionne plus. Il dynamite, disperse, ventile. Sarkozy et les paradis fiscaux, la complaisance de la presse, Frédéric Lefebvre en laquais chassant les voix du Front national, « petit Jean passé directement de la tototte à la cagnotte. À l’africaine. L’homme noir n’est pas encore entré dans l’histoire. Le petit homme blond déjà ! » Tandis que, sans scrupule et « en jachère » , Carlita joue la sainte-nitouche après avoir pourtant bien « déroulé du câble » . Le comédien s’explique : « Je n’ai plus aucune retenue maintenant. Ce qu’ils nous mettent dans la gueule est très violent, donc je leur renvoie le paquet. C’est l’effet miroir ! »

Il gueule alors, éructe dans le soliloque atrabilaire. Le délitement du Parti socialiste et Ségolène Royal, inspirée par Jeanne d’Arc, n’échappent pas non plus aux griffes d’un redresseur de torts et travers de plus en plus « Super Rebelle ». Qui mime, imite (souvent Zébulon, sans avoir à forcer le trait), s’ébroue rageusement. Tumescent, survolté, il en remet une couche sur le nouvel hymne de la droite décomplexée, bouffie d’arrogance au bar du Fouquet’s, entonné le 6 mai 2007 : les « Mille Colombes » de Mireille Mathieu. Le dernier spectacle se clôturait par la chanson de Moustaki sur la révolution permanente, Sans la nommer. Aujourd’hui, façon meeting surchauffé, Alévêque boucle son tour de piste par un époustouflant Bella ciao, bella ciao, ciao, ciao. Jubilatoire et fringant.

Culture
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