Le facteur national

Gérard Duménil  • 1 octobre 2009
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Les mesures envisagées lors de la réunion du G20 frappent par leur timidité. Aucun des mécanismes principaux qui ont conduit à la crise contemporaine n’est abordé de front, notamment le principe des crédits subprime ou la titrisation, ou encore l’augmentation des déséquilibres de l’économie états-unienne. La montagne, ou plutôt le volcan, que constitue la crise accoucherait donc d’une souris. Il faut pourtant se garder de conclure trop vite. Indépendamment d’un approfondissement possible de la crise ou de la survenue d’un nouvel épisode, il existe un autre facteur qui, à long terme, pourrait jouer en faveur de changements plus radicaux. On peut l’appeler le « facteur national » ou « hégémonique ». Il viendrait principalement des États-Unis. Au cours des années 2000, le déclin de la prépondérance économique de ce pays, ainsi que des principaux pays avancés, s’est accéléré. Cette situation pourrait susciter une réaction. La crise a secondairement contribué à accélérer le processus de rattrapage. Des pays comme la Chine ne sont que peu affectés, alors que les principaux pays du centre ont plongé dans une contraction majeure de l’activité. Dans ces pays, on peut en outre pronostiquer une reprise très médiocre, le jour où elle se produira vraiment, ce qui ajoutera encore aux écarts. Toutefois, la cause de ce déclin n’est pas la crise, mais les politiques néolibérales, où tout est fait pour l’accroissement de la richesse des plus favorisés.

Pour illustrer ces tendances, on peut séparer les pays dits « émergents et en développement » des pays « avancés » [^2]. Les deux leaders du premier groupe sont la Chine et l’Inde ; et les économies des États-Unis et de l’UE représentent environ 80 % du second groupe. On observe alors que, du début des années 1980 jusqu’en 2000, la production des pays émergents ou en développement représentait, de manière stable, environ 58 % de ceux des pays avancés. Mais, depuis 2000, ce pourcentage est monté à 87 % (en 2008). Cette tendance provient de la croissance comparativement lente des pays avancés au cours de la décennie, alors que s’est accélérée celle de la Chine et de l’Inde, mais également des autres pays. La production d’acier en Chine, qui était un peu supérieure à celle des États-Unis en 2000, était 5 fois plus élevée en septembre 2008, et 10 fois plus en juillet 2009 ! On répondra que l’économie états-unienne est à l’origine d’investissements massifs dans le monde, et que c’est à cette échelle, celle de l’économie globale, qu’il faut juger la puissance économique d’un pays. Soit. On voit alors que les émissions d’actions des sociétés états-uniennes, qui au début des années 2000 s’élevaient encore à plus de la moitié des émissions mondiales, n’en représentent désormais plus qu’un sixième, un déclin régulier sur une décennie. Il y a péril en la demeure. Celui de devenir peu de chose malgré la puissance politique et militaire.

Pourquoi diagnostiquer une réaction principalement états-unienne ? D’abord, on imagine mal un rebond « national » dans l’Union européenne, étant donné l’absence de nation. En outre, l’Europe (à l’exception du Royaume-Uni et de quelques pays) ne souffre pas des déséquilibres de l’économie états-unienne, qui renforcent l’urgence d’une correction. Ainsi, ce sont d’abord les classes supérieures des États-Unis et leur gouvernement qui sont confrontés au dilemme suivant : renoncer à la belle trajectoire nationale qui leur a permis de multiplier leur richesse au cours des décennies néolibérales – « reterritorialiser » la production, stimuler la recherche, corriger les déséquilibres qui menacent le dollar – ou voir s’effilocher les fondements économiques de leur hégémonie. Si le tournant n’était pas pris, qui assurerait alors la protection de leurs intérêts au plan mondial ? Comment financer la plus grande armée et le plus grand système de renseignement du monde ? Certes, c’est dans ces domaines que la prééminence états-unienne est la mieux établie, mais les autres avancent vite. Et sur le terrain, celui du Moyen-Orient, les choses tournent mal.

[^2]: Selon les critères du FMI. Les données utilisent des taux de change qui donnent un sens à ces comparaisons.

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