Les députés font mine de rien

Dans un rapport récemment rendu public, Oxfam France-Agir ici dénonce le désintérêt des parlementaires pour les opérations militaires et les exportations de matériel de guerre de la France.

Xavier Frison  • 22 octobre 2009 abonné·es
Les députés font mine de rien

Tout focalisé qu’il est sur la présidentielle de 2012, Jean-François Copé mène une guéguerre de coquelets avec Nicolas Sarkozy sur le mode de « l’hyper-­Parlement » contre « l’hyper-Président ». Il est pourtant au moins deux domaines dans lesquels les députés ne remplissent pas leur devoir de contrôle de l’exécutif : les opérations militaires extérieures (Opex) et les exportations d’armes de la France. Ni le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale ni ses petits camarades de droite ou de gauche ne semblent juger utile de demander de comptes au gouvernement sur ces deux questions majeures, dénonce en substance l’ONG de solidarité internationale Oxfam France-Agir ici dans un rapport publié le 12 octobre.

« En dépit de pouvoirs renforcés par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les parlementaires ne se sont pas encore ­saisis pleinement de ces enjeux cruciaux, au cœur de l’action internationale de la France », estiment les auteurs du dossier, Judith Wollner et Nicolas Vercken. Depuis cette date, les députés doivent être avertis de toute nouvelle intervention militaire française à l’étranger dans les trois jours, et peuvent se prononcer sur le maintien des opérations extérieures si celles-ci durent depuis plus de quatre mois. En 2009, 10 000 soldats français seront encore déployés au Tchad, en République centrafricaine, en Afghanistan, en Côte-d’Ivoire, au Liban et au Kosovo. Or, «  seul l’Afghanistan a fait l’objet d’un timide débat parlementaire. Mais c’est principalement le coût de cet engagement […] qui fut débattu. »

Un seul débat formel sur le sens politique et la vision géopolitique qui motivent les opérations extérieures a eu lieu dans l’hémicycle, le 28 janvier dernier. Sur la base d’un document relatif aux Opex remis aux députés quelques heures avant la rencontre… Des Opex comme celles du golfe d’Aden ou d’Haïti n’ont, par ailleurs, toujours pas fait l’objet d’un débat, tout comme la contribution de la France à des opérations de l’ONU ou de l’Union européenne. Dans la même veine, « très peu de députés se sont exprimés » sur les combats dans l’Est de la République démocratique du Congo fin 2008, cependant que Bernard Kouchner et les ministres européens débattaient entre eux de l’utilité d’envoyer des militaires sur place.

Au rayon armement, c’est le Code de conduite de l’UE sur les exportations d’armes conventionnelles, devenues « juridiquement contraignantes » depuis décembre 2008, qui fait foi. Il énonce huit critères de « bonne conduite » que la France, quatrième exportateur mondial d’armes, doit suivre comme tous les États de l’Union avant d’exporter du matériel de guerre. Parmi ces critères, on note le respect des droits de l’homme dans les pays de destination finale, le respect des engagements internationaux des États, ou encore la prise en compte de l’existence d’un risque de détournement du matériel à l’intérieur du pays acheteur ou d’une réexportation imprévue. Malgré ce code, « bien souvent, ces armes conventionnelles produites et vendues en toute “légalité” sont finalement utilisées, par des acteurs étatiques ou non étatiques, pour commettre de graves violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire ».

Les exportations d’armes ont-elles augmenté de 57 % en 2008 vers le Tchad ? Insuffisant pour générer « la moindre question [des parlementaires] sur les risques liés à de telles exportations ». Les 97 % de hausse vers Israël sur la même période ont tout de même semblé « intéresser les parlementaires » . Mais les députés qui ont interrogé le gouvernement quant à la possibilité d’imposer un embargo sur la vente d’armes à Israël et au Hamas attendent toujours une réponse. Quant au rapport désormais remis chaque année au Parlement sur les exportations d’armes par le ministère de la Défense, il est publié « avec un an de retard » , « ne contient que des informations très générales et, surtout, ne fait l’objet d’aucun débat parlementaire ni de la moindre question » au gouvernement. Le fait que la France ait refusé «  presque deux fois moins d’autorisations d’exporter » des armes en 2008 qu’en 2007 n’a pas plus interpellé les députés, qui n’ont pas saisi le gouvernement à ce sujet. Au final, seul l’enjeu du traité d’interdiction des bombes à sous-munitions a été « assez bien suivi » par le Parlement.

Maigre bilan, surtout comparé à nos voisins. En Allemagne, « le Bundestag est constamment associé aux prises de décisions du gouvernement en termes de politique d’armement » , tandis que « la présence des forces allemandes à l’étranger est soumise à un contrôle très strict ». En Espagne, depuis 2007, une loi contraignante encadre les exportations d’armes, et le niveau de transparence de la politique d’exportation d’armement aux Pays-Bas est « parmi les plus élevés d’Europe ». Loin de nos standards.

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