Un cinéaste en prise avec le réel

Jérôme Polidor organise des ateliers de réalisation cinématographique à Pantin et poursuit une œuvre de documentariste. Il vient de sortir « Noir Coton », tourné au Burkina Faso. Rencontre.

Marie Gagne  • 29 octobre 2009 abonné·es
Un cinéaste en prise avec le réel

Jérôme Polidor s’était fait remarquer avec la Double Face de la monnaie , il revient avec Noir Coton, tout aussi prometteur. Mais ne ­comptez pas sur ce documentariste de 28 ans pour rechercher la lumière. Soucieux de ne pas s’approprier un travail partagé, il n’a de cesse d’évoquer les mérites de ses collaborateurs. Même humilité à l’évocation de ses activités en banlieue.

En 2001, alors en licence de cinéma, Jérôme Polidor se rapproche des Engraineurs, une association qui propose des ateliers d’écriture et de réalisation cinématographique à des adolescents et à de jeunes adultes. Rapidement, il met en place des formations, sollicite un de ses anciens professeurs de BTS audiovisuel, qui intervient bénévolement. « Aux Engraineurs, on cherche à ne pas être indispensables, à rendre autonomes les participants, précise-t-il. C’est une expérience très riche de suivre toutes les étapes de la production d’un film et d’en être les acteurs. Participer à tout le processus permet aux participants de s’approprier le projet. » Une forme d’éducation populaire en somme. « Ces ateliers n’auraient pas de sens dans des quartiers riches, mais on ne retourne pas le discours dominant sur les banlieues. D’ailleurs, si j’avais à faire un film sur la banlieue, mon sujet serait la façon dont certains, par le biais d’actions dans ces quartiers dits défavorisés, s’assurent un plan de carrière. C’est un bon moyen d’autopromotion ! »
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Lucide, Jérôme Polidor distingue bien ses interventions au sein des Engraineurs de ses productions personnelles. À Pantin, le plaisir de tourner beaucoup et l’approche ludique avec les ados. Au Burkina Faso ou ailleurs, une démarche journalistique plus réfléchie. De ses rencontres lors de ses études, puis au sein des Engraineurs, naît une boîte de production, la Mare aux canards. Deux films –  *« coréalisés » 
– voient le jour. Le premier, la Double Face de la monnaie, est un remarquable documentaire démystifiant l’argent et reconsidérant notre perception de la richesse. Noir Coton, sorti en DVD le 25 octobre [[Bande-annonce/commande : . La sortie en France
de Noir Coton en DVD devancera de peu une tournée de projections publiques au Burkina Faso.]], est du même acabit. L’idée de départ est simple. En 2007, Julien Després, ingénieur du son rencontré sur un tournage des Engraineurs, entend parler de la privatisation de Dagris (Développement des agro-industries du Sud), une société française s’occupant de la production et de la commercialisation des fibres de coton et des semences, essentiellement en Afrique. Partis avec la Françafrique en tête, les deux réalisateurs se rendent compte que le problème est plus complexe.

Reçus à Dagris par des agronomes en désarroi et réellement soucieux de la population locale, Jérôme Polidor et Julien Després révisent leur projet. La filière coton au Burkina Faso sert de fil rouge, mais ce sont les conditions de vie, l’avenir des paysans du Sahel et leurs analyses qui constituent la trame du film. « J’ai vraiment été surpris de la conscience politique très importante en Afrique. Beaucoup savent ce qu’est le FMI, un plan structurel de réajustement. L’exemple d’un paysan qui achetait à bas prix des tissus d’Asie m’a frappé. Il savait qu’il participait au démantèlement de la production locale mais il lui était impossible de faire autrement. Ça laisse songeur sur notre conscience ici, en France… »
Une des réussites de ce documentaire est d’avoir pris le temps de rencontrer les petits producteurs. « Ce n’est pas le premier film évoquant la production vivrière en Afrique, mais on entend souvent les représentants proches du pouvoir. L’Afrique est dans un système capitaliste : ce n’est pas parce qu’un Africain parle de production locale qu’il défend les intérêts des paysans ! » Une pique aux réductions parfois simplistes du film Let’s make money, d’Erwin Wagenhofer. « Il faut prendre le temps de rencontrer les gens, de dissocier les problèmes économiques des querelles internes. Cela aurait été bien plus simple de se limiter aux responsables d’organisations internationales et à leurs services de communication, mais nous aurions offert une vision tronquée. » Le film expose donc les problèmes et les paradoxes de la culture du coton. « Choisir le coton, c’est choisir d’être pauvre. Mais comment s’émanciper d’une production imposée ? » , ­s’interroge un paysan. Faut-il arrêter cette culture ou s’orienter vers les techniques de l’agroalimentaire ou du bio ?

Quelles sont les conséquences de l’introduction – parfois forcée – des semences OGM et à qui profitent-elles ? Sujet épineux que refuse d’évoquer François Traoré, responsable de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina Faso (UNPCB). Un paysan en parle plus ouvertement :  « Ce qu’on veut, c’est y gagner. Le traitement conventionnel nous coûte trop cher. Je traite le coton OGM deux fois au lieu de sept pour les semences conventionnelles. Et, cette année, la semence nous a été offerte par la Sofitex [Société burkinabé des fibres et textiles, sous contrat avec le semencier Monsanto]. Nous voyons notre intérêt. » Mais certaines données échappent aux producteurs, notamment le fait que les plants traités aux OGM deviennent la propriété de Monsanto et de l’État burkinabé, obligeant les producteurs à payer un droit de propriété intellectuelle pour l’utilisation des semences.

Le film s’interroge aussi sur la souveraineté alimentaire : la culture du coton demande beaucoup de terres, de temps, et phagocyte les autres productions. Pour Mohamadou Magha, militant associatif, « la souveraineté alimentaire, c’est le droit des peuples à produire pour se nourrir et à se nourrir avec leur production. Et le droit aussi de protéger leur marché agricole » . Une souveraineté également mise à mal par les programmes d’écoulement des productions des pays du Nord et d’Asie – sous couvert d’aides au développement – désorganisant ainsi les économies locales.
Autoproduit, ce documentaire « prend tout son sens lors de projections publiques, face à un public actif » , affirme Jérôme Polidor. Une logique de diffusion qui éloigne des standards nécessaires à un passage sur une chaîne télévisée. Le prix à payer pour produire un film «  indépendant de tout formatage » , à l’image de son coréalisateur.

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