Une révolution pacifique

Il n’y aura pas de changement durable sans une transformation démocratique à la fois sociale, culturelle et écologique.

Louis Aminot  • 22 octobre 2009
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« La vie politique et sociale a été faite de beaucoup de désillusions. Y mettre de l’espoir et de grandes ambitions n’est pas du tout à proscrire. »
Maurice Kriegel-Valrimont

Il n’y aurait rien de déraisonnable à concevoir la paix, ses questionnements, problèmes et propositions de réponses, en tant que pilier central du processus de transformation sociale et écologique de nos sociétés. « Révolution verte » et « contribution climat énergie » ont bon dos. Belle trouvaille en vérité. Regroupés sous le parapluie du Grenelle, nos édiles, énarques assermentés et gens de pouvoir, n’imaginent rien de mieux que de carboniser les gens de peu avec de nouvelles taxes et charges. Décidément, la guerre des idées fait rage sur le front des porte-monnaie, jamais des coffres-forts. Énième preuve par neuf que l’éducation et l’irrigation des consciences à la hauteur des changements à entreprendre exigent un sérieux effort idéologique et politique, individuel et collectif. L’adhésion des peuples à une conscience universelle ne supportera aucun retard.

En 1987, les Rénovateurs communistes publiaient leur manifeste : la Révolution, camarades ! En exergue, ils inscrivaient Karl Marx et Friedrich Engels : « Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. » Balayé par les orthodoxies, ce concept fait de nos jours un tabac. Tragiques ou pathétiques, les tentatives et expériences du siècle précédent autorisent au moins un enseignement. Des changements durables ne s’épanouiront que dans un extraordinaire affrontement politique, en tant que processus inédit de transformation démocratique poussé jusqu’à la métamorphose sociale, culturelle, écologique, elle-même démocratique. Dégagée des rites, règles et considérations de type militaire, la révolution vérifie sa force de conviction dans ses capacités d’avant-garde à échapper à l’avant-garde. La révolution ne se décrète pas, elle ne se programme pas, elle n’est ni l’affaire d’un soir, ni une fin en soi. Définie et comprise comme la démocratie du changement, la révolution est beaucoup plus que l’objectif, elle est le sens du mouvement.

Attentive à tout ce qui bouge et veut naître, prioritairement attentive aux droits des femmes, des enfants et des jeunes, la proposition révolutionnaire tend une main généreuse, solidaire, multipliée aux confins de ce monde souillé du sang des victimes de la férocité de l’argent. La révolution ouvre les portes d’un futur pacifique générateur de citoyenneté et de liberté. Elle surgira d’une volonté massive, astronomique, convergente avec un projet politique conforme aux exigences contemporaines d’égalité et de démocratie… ou ne sera pas. Aucune loi historique ne l’affirme inéluctable. Elle est seulement souhaitable, rien ne la proscrit non plus. Indomptable, imprévisible, l’humanité vous joue de ces tours ! Il arrive que les peuples en mouvement fassent irruption là où personne ne les attendait plus. Pour déverrouiller la surexploitation de la force de travail, poursuivre la liquidation des services publics et des acquis de la Libération, ultras ou sociaux, les européistes acharnés ne rivalisent que dans la méthode. Les uns et les autres foulent aux pieds le droit et la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les délices et vertiges du pouvoir retournent jusqu’aux plus ardents à se repaître des valeurs de la gauche. Ces spécieux serviteurs révèlent un sacré aplomb dans la requalification de leurs renoncements et trahisons en réalisme et en courage. À les croire, ils oseraient se salir les mains dans le cambouis de la gestion des affaires publiques et de l’intérêt général, contrairement à d’autres qui s’esquiveraient lâchement. Misérable entourloupe. L’origine de leur abdication se niche ailleurs. Dans l’égo-carriérisme, le manque de vertu politique, le refus de s’appuyer sur le désir de changement, la négation de la démocratie et d’une autre voie. Ces abandons confessent a minima une incroyable naïveté, assurément une détestable duplicité. En se retournant comme les galettes de nos aïeules, ces vils serviteurs injurient l’intelligence des peuples. Deux conceptions de gestion de l’intérêt général s’affrontent au quotidien, à tous les niveaux. La plus répandue se vautre dans les nimbes de l’ordre établi. La plus déterminée bouscule ses fondements. Son déploiement contribue à l’identification des obstacles.

Modestes, étriqués, les premiers pas « unitaires » constatés dans la sphère de la gauche de la gauche indiquent la bonne direction. Les faiblesses paraissent surmontables. Elles résident dans l’absence d’un projet susceptible d’apporter des « réponses concrètes aux problèmes concrets ». Mais, l’une n’allant pas sans l’autre, elles résident essentiellement dans la dispersion de la force motrice sans laquelle, face aux réactions du système, la gauche se noie dans ses embarras et reculades. Les dérives du Parti socialiste – la facilité serait de ne regarder que ses transfuges et coopérants de « l’ouverture » – font mal au peuple de gauche. Échaudées, les couches populaires ne lui font plus confiance. Non sans raison, elles doutent de sa volonté et de ses capacités à imposer le changement. Le contentieux est lourd ; peu importe la manière, elles choisissent de le faire savoir. Remis à sa place et placé devant ses responsabilités, le Parti socialiste se garde d’afficher ses prétentions hégémoniques. Profil bas, il se contente de susurrer son péché mignon à s’autoproclamer pivot de la gauche. Ambivalence du pivot qui s’enfonce ? L’appétit des places et maroquins, cause et conséquence du mal socialiste ? Plutôt ses tentations sociales-libérales ? Son européisme frénétique ? Son désintérêt pour les couches populaires ? C’est un fait, le bateau socialiste gîte sur tribord. Béante, la brèche a alimenté les pseudo-sauveteurs du MoDem puis l’alliance de courants écologistes, parmi lesquels des altermondialistes. Cette situation apporte sur bâbord de l’eau au moulin du raisonnement.

Pour avancer vers la transformation sociale, écologique, démocratique, la gauche doit marcher sur deux jambes. Or, affaiblie, sans ambition, sa jambe gauche boitille et toute la gauche avec elle. Aux urgences, et vite, serait le mieux ! Cette idée gagne du terrain. Elle résulte de l’expérience commune. La gauche est repérable dans l’histoire. En gros, elle représente le camp du progrès. Soyons clairs, la notion de gauche n’incarne pas nécessairement le camp des luttes, elle n’exprime pas forcément la proposition d’ouverture d’un processus démocratique de rupture ou de dépassement du capitalisme. Sur ce point, la gauche vasouille lorsque son courant progressiste, révolutionnaire, le plus déterminé à changer le cours des choses, se perd dans les sables du sectarisme et de la division. À l’évidence, face aux enjeux, il serait bienvenu que ses diverses composantes ne s’autorisent plus un seul égarement. Tant mieux si la conscience de l’obligation de correction et de rééquilibrage (de la gauche) continue de progresser. Le temps est venu de s’atteler plus hardiment à la tâche. Il faut en premier lieu changer le moteur fatigué de la gauche. Pour aller loin, elle a besoin d’un moteur neuf, solide, conçu, fabriqué, mis au point et conduit par toutes et tous. Les bricolages répétés du Parti communiste ne font pas le compte. La gauche a besoin d’une nouvelle force motrice, unitaire, ouverte et dynamique, capable d’affronter et de maîtriser les obstacles, capable d’ouvrir une perspective, de rassembler et d’entraîner les forces indispensables à la réussite démocratique du changement.

Au diable les tergiversations. Élégance et révolution. Épuisé d’avoir trop biaisé avec le réel, feu le grand Parti communiste s’inscrirait de belle manière dans l’histoire en prenant sa part à la valorisation de « l’idée communiste » dans le passage assumé du relais et dans sa contribution concrète à l’enfantement. Une obstination à parodier les heures révolues constituerait une entrave inutile au mouvement en cours. La nouvelle force motrice finira par naître. Le potentiel existe. Tôt ou tard, les générations montantes submergeront les réticences. Mieux vaut, ici et maintenant, oser passer de la petite à la grande entreprise. Mieux vaut oser penser et organiser la sortie de l’ensemble de la gauche de son enlisement.

Louis Aminot _ Ancien ouvrier à l’arsenal de Brest, ancien secrétaire fédéral du PCF-29, il a rompu avec le parti communiste en 1986. Il fut également élu de Brest de 1977 à 2001 et directeur des relations publiques de Sevran (93) de 2004 à 2009. Il a publié un livre relatant sa jeunesse d’apprenti et d’ouvrier de l’arsenal de Brest, dans les années 1950, Zef ou l’enfance infinie, Syllepse, 2008, 196 p., 13 euros.
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