Bravo au ministre des Expulsions !

Coup de chapeau à un soldat vaillant et fidèle de la majorité présidentielle, veillant sans relâche à servir notre beau pays et à défendre ses concitoyens…

Olivier Le Cour Grandmaison  • 5 novembre 2009 abonné·es
Bravo au ministre des Expulsions !
© * Dernier ouvrage paru : Douce France. Rafles. Rétention. Expulsions (dir.), Seuil, 2009. Olivier Le Cour Grandmaison est historien et enseignant à l’université d’Évry-Val-d’Essone.

Bravo, monsieur le ministre des Expulsions, pour votre persévérance et votre courage. En effet, pour la première fois depuis de nombreuses années, vous êtes parvenu, avec la collaboration précieuse du gouvernement travailliste de Grande-Bretagne, à organiser le retour groupé d’Afghans en situation irrégulière. Délicate formule pour désigner leur expulsion vers un pays ravagé par l’intervention militaire étrangère et la guerre civile, et bel exemple de collaboration transfrontalière qui prouve qu’une certaine Europe continue, envers et contre tout, de se construire. Une telle initiative n’avait pas été prise depuis 2005, ce qui témoignait d’un laxisme coupable auquel vous avez, conformément aux souhaits du chef de l’État, voulu mettre un terme. C’est désormais chose faite et vous pourrez, à l’heure du bilan, vous enorgueillir d’avoir été, dans votre domaine de compétences, l’artisan zélé de la rupture inlassablement défendue par Nicolas Sarkozy, à qui vous devez votre irrésistible ascension.

Il y a quelques mois, vous n’étiez qu’un obscur secrétaire d’État à la Prospective, chargé d’évaluer l’action gouvernementale, et les portes du Conseil des ministres vous étaient fermées. Dure mise à l’épreuve, mais vous avez résisté. Sans doute fallait-il s’assurer de votre dévouement car vous veniez des cénacles du Parti socialiste, et votre ralliement soudain à l’UMP pouvait inquiéter quelques esprits chagrins. D’autant plus que, dans le cadre de vos anciennes fonctions, vous aviez commis un rapport implacable contre la politique de celui que vous servez aujourd’hui en dénonçant notamment « les effets dévastateurs » des « arrestations massives » d’étrangers et des détentions « à répétition de certaines personnes non reconductibles, y compris les enfants » . Avec lucidité, vous ajoutiez que ces orientations avaient pour objectif de « rassurer l’électorat de droite et d’extrême droite en prétendant lutter toujours et encore contre l’immigration ». Après votre conversion brutale, vos nouveaux amis exigeaient quelques gages. On les comprend.

Contre les sectaires, les suspicieux et les jaloux, vous avez su vous imposer comme un soldat vaillant et fidèle de la majorité présidentielle. Cet admirable parcours, réalisé en un temps record, méritait d’être récompensé. De là votre rapide nomination à la tête d’un grand ministère, qui n’a pas de précédent dans l’histoire de la République puisque vous devez veiller, comme votre prédécesseur, Brice Hortefeux, à l’Immigration, à l’Intégration, à la Défense de l’identité nationale, dangereusement mise à mal par qui vous savez, et au Développement solidaire. L’appellation est un peu abracadabrantesque, mais passons pour ne retenir que le vaste programme qu’elle recouvre. Sa réalisation impose d’agir en France et auprès de vos amis étrangers en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne, notamment, pour obtenir de tous ces démocrates sincères, attachés à la défense intransigeante des droits de l’homme et des réfugiés, qu’ils prennent des mesures efficaces contre l’émigration de leurs ressortissants, sans oublier les allochtones présents sur leur propre territoire. Vous expulsez ; qu’ils emprisonnent et qu’ils expulsent eux aussi, et ils seront récompensés. Glorieuse et très républicaine coopération dont vous êtes désormais l’artisan.

La tâche est rude, mais ce n’est pas pour vous décourager. Bien au contraire, cela stimule vos ambitions, qui sont grandes pour « servir notre beau pays », bien sûr, « défendre nos concitoyens » et les lois de la République, car tels sont les nobles principes de votre action. Merci aux conseillers en communication chargés de la propagande gouvernementale qui ont forgé ces « éléments de langage » inlassablement répétés pour légitimer cette politique qui allie, dites-vous, « humanité et fermeté ». Dominique de Villepin, lorsqu’il était Premier ministre, usait déjà de cette formule, mais qu’importe puisqu’elle est supposée résumer les orientations équilibrées que vous mettez en œuvre. Rappelons que la lettre de mission que vous avez reçue du chef de l’État et de son « collaborateur » à Matignon fixe, pour l’année 2009, le nombre d’expulsions à 27 000, soit 74 par jour, ce qui signifie que toutes les heures il vous faut procéder à 3 reconduites forcées. On imagine mal, sans doute, la somme d’efforts exigés par la réalisation de ces objectifs. Chapeau bas devant tant de prévention et d’humanisme réunis.

Bravo, enfin, car vous avez su tenir bon contre les habituels pétitionnaires emmenés par de nombreuses associations françaises et étrangères, auxquels se sont joints deux députés de votre majorité opposés au renvoi de ces Afghans dans leur pays d’origine. Vous avez bien appris les leçons de votre maître, qui, dans l’adversité, sait garder le cap sans céder aux chants des sirènes du renoncement. De même, vous êtes passé outre les arguties juridiques de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, en novembre 2008 puis de nouveau le 6 octobre dernier, avait condamné de telles opérations. Magnifique défense de la souveraineté nationale ! Vive la France, son drapeau et sa «Marseillaise » ! Vous avez bien mérité de la patrie reconnaissante et, au Panthéon de la xénophobie d’État, une place de choix vous est d’ores et déjà réservée.

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