De quels droits ?/ La Cimade : un devoir de témoignage

Christine Tréguier  • 12 novembre 2009 abonné·es

La Cimade a publié fin octobre la neuvième édition de son rapport annuel sur les centres et locaux de rétention administrative. Seule association présente quotidiennement depuis 1984 dans ces lieux d’enfermement, la Cimade veille à ce que les droits des étrangers soient respectés et leur apporte l’aide juridique indispensable pour éviter
les expulsions expéditives. « Le caractère national de cette mission, précise-t-elle, [lui] a aussi permis d’assurer son rôle de témoignage,
tout aussi essentiel pour la défense des droits des personnes. Ce rapport est une nouvelle fois l’occasion pour nous d’exercer ce devoir
de témoignage. »
Rappelons que cette mission définie et imposée
par la Cimade elle-même a été remise en cause en 2008 par le ministre
de l’Immigration de l’époque, Brice Hortefeux. Souhaitant « mettre fin à un monopole »,
il a fractionné les centres en six lots et lancé
un appel d’offres pour les confier à différents « opérateurs ». La mise en œuvre de l’appel d’offres
a été suspendue en mai dernier par le tribunal administratif, et le Conseil d’État doit statuer
sur sa validité le 13 novembre.

Pour l’association, le bilan 2008 est pire que celui de 2007. Quotas et politique du chiffre imposent une industrialisation de la rétention, laquelle engendre violences et drames humains. Tentatives de suicide, automutilations et grèves
de la faim se multiplient. Autres manifestations
de ce malaise, des incendies fréquents dans les centres, dont trois ont dû être fermés en 2008.
Pour remplir ses quotas, l’administration sacrifie de plus en plus le droit à la vie privée et à la vie familiale. Des pères étrangers, suspectés de mariage blanc, sont renvoyés au pays, laissant femme et enfants en France. Des travailleurs sans papiers, installés en France depuis quinze ou vingt ans, sont jetés dehors sans bagages. Quand les familles ne sont pas séparées, elles sont interpellées sans ménagement et les enfants, pourtant non expulsables, subissent le traumatisme des arrestations à l’aube, de la garde à vue et de l’enfermement. En 2008, deux cent trente enfants ont vécu ce déracinement brutal. Les malades atteints de pathologies graves ne trouvent pas plus grâce aux yeux d’une administration pressée et sourde aux témoignages des médecins.

Le comble de l’absurdité est atteint avec la rétention d’étrangers interceptés près des frontières alors qu’ils s’apprêtaient à rentrer
chez eux. Pour la Cimade, ces pratiques qui nient le plus élémentaire respect des droits et de la dignité des personnes sont « une conséquence logique de la politique des quotas ». Elles sont d’autant plus absurdes
que cette politique a un coût : 533 millions d’euros, soit 27 000 euros
par expulsion !

Ce rapport de 378 pages en dit long sur les réalités de la politique migratoire française. Trop long, sans doute. Y aura-t-il un rapport 2009 ? Si le choix de plusieurs opérateurs est validé, qui sera en charge
de centraliser les informations pour le rédiger ? Peut-être le ministère envisage-t-il déjà de les délester de ce travail et de faire réaliser le rapport par ses services. En toute objectivité.

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