Les (premières) surprises (récentes) de la directive services-Bolkestein

Thierry Brun  • 20 novembre 2009
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Deux notes, du ministère des Finances et de la Commission européenne, confirment ce que le rapport du sénateur Jean Bizet soulignait : la directive services-Bolkestein, actuellement en cours de transposition, n’exclut rien… pas même les services sociaux d’intérêt général (SSIG).

Le débat autour de la transposition de la directive sur les services, clone de la directive Bolkestein, étant exclu par le Monarque, et le Traité de Lisbonne entrant en vigueur le 1er décembre 2009 avec cette promesse que celui-ci sauvera nos services publics (notamment avec le protocole sur les services d’intérêt général), consacrons ce blog à l’édifiante divulgation des tractations en cours, répondant ainsi à cet élan critique qui nous démange.

Le gouvernement a soigneusement évité d’ouvrir un débat public pourtant essentiel sur une directive « pas comme les autres », destinée à organiser la mise en concurrence de la plupart des services publics, sociaux et/ou d’intérêt général. En juin, le rapport du sénateur UMP, Jean Bizet, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat sur l’état de la transposition de la directive services, indiquait qu’une « fois la transposition effectuée, le gouvernement rendra publiques ses orientations sur la manière d’impliquer les textes ». Pas question d’une intervention citoyenne avant.

Cette subtile décision politique, qui pose quelques questions sur le fonctionnement de notre démocratie, est ainsi justifiée : « On peut comprendre que les pouvoirs publics aient attendu que soient passées les élections européennes du 7 juin 2009 avant de communiquer sur la « directive services », par crainte de raviver la polémique apparue, lors du référendum sur le projet de traité constitutionnel en 2005, sur la « directive Bolkestein » et le « plombier polonais » ».

N’attendons pas la date butoir du 28 décembre fixée par la Commission pour la transposition du clone de la directive Bolkestein, pour mettre sur la place publique quelques informations sur la transposition, d’autant plus que cette échéance, selon Jean Bizet, sera respectée par la plupart des pays membres, dont la France. Faisons lui confiance, mais précisons que les Parlements sont, semble-t-il, dasn le flou sur les termes des tractations en cours, si l’on en croit la décoiffante intervention de huit parlementaires européens, représentant les différents partis politiques du Parlement (dont la droite conservatrice et libérale).

Ces (courageux) élus se sont senti obligés de déposer une « question orale » au Conseil européen sur l’état de la transposition de la directive lors de la mini session plénière du Parlement européen (11 et 12 novembre). Les questions posées montrent à quel point l’opacité règne dans l’Union. « Les Etats membres ont-ils achevé l’examen de leur législation ? Dans quelle mesure cette action a-t-elle effectivement contribué à la transposition de la directive services ? », ont notamment demandé ces parlementaires (on attend avec impatience les réponses du Conseil et de la Commission…).

Beaucoup de questions se posent donc, en particulier celle de l’exclusion ou non des services de santé et des services sociaux (SSIG). Le rapporteur Bizet a souligné un point qui, à lui seul devrait susciter une indignation politique : les exemptions de la directive services ne sont que provisoires. « Il n’est pas inenvisageable que certains secteurs aujourd’hui exclus du champ de la directive y soient réintégrés à l’avenir, à la demande des professionnels eux-mêmes ».

Les règles du jeu fixées par la directive sur les services peuvent changer en cours de route : 2010, première année d’application, sera l’occasion de procéder à d’éventuels « ajustements ». Surtout, le 28 décembre 2011, et par la suite tous les trois ans, la Commission présentera un rapport sur l’application de la directive, « accompagné, le cas échéant, de propositions de modifications et de mesures supplémentaires concernant les questions exclues du champ d’application de la directive ».

Illustration de ce qui se passe : le ministère de l’Economie a adressé récemment une note à l’Association des maires de France, laquelle livre un éclairage édifiant sur l’application de la directive services au droit français. Cette note, intitulée : « Directives services et difficultés liées à une définition des services sociaux en droit français », justifie la non possibilité d’exclure certains services sociaux de la directive services. Pourquoi ? Cette directive impose « de passer en revue des législations. Or, ces législations sont applicables indistinctement à tous les opérateurs, indifféremment de leur statut (public, para-public ou privé) ».

« A titre d’exemple dans le secteur de la petite enfance, explique cette note, cela signifie qu’une crèche privée, qui n’est pas considérée par les autorités françaises comme un opérateur social, et une crèche associative financée pour partie par des fonds publics seront soumises à la même législation encadrant l’accès de cette activité ». La note des services de Bercy insiste : « Pour exclure totalement une législation du passage en revue par la directive services, il faudrait démontrer que tous les opérateurs soumis à cette législation sont des opérateurs sociaux au sens de l’article 2.2.j ».

L’article 2.2.j de la directive services fixe deux limites aux services sociaux :
– les « services sociaux relatifs au logement social, à l’aide à l’enfance et à l’aide aux familles et aux personnes se trouvant de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin »
– L’article vise aussi les services « qui sont assurés par l’Etat, par des prestataires mandatés par l’Etat ou par des associations caritatives reconnues comme telles par l’Etat ».

Commentaire de Bercy : les conditions de l’article 2.2.j apparaissent très difficiles à remplir aujourd’hui « dans la plupart des secteurs où interviennent des opérateurs « sociaux » car ces secteurs sont des secteurs concurrentiels où sont susceptibles d’intervenir des acteurs de types différents (privés, commerciaux, associatifs, publics, etc.) ». Bercy ajoute que « le champ de l’exclusion est limité selon un clivage qui ne correspond pas à la conception française des services sociaux ». Que fera le gouvernement ? On se souvient que Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat chargé de l’Emploi, a estimé que les SSIG sont une notion « totalement vide », et que seules s’appliquent les règles de concurrence et le code des marchés publics.

« Avec un tel discours, la France renonce clairement aux marges de manœuvre que lui offre le droit communautaire applicable aux services d’intérêt économique général (SIEG), elle va au-delà des exigences communautaires de simple « publicité préalable adéquate » en matière de gestion de services publics sociaux et mélange règles de concurrence (aides d’Etat), règles du marché intérieur (liberté d’établissement et de prestation) et coordination communautaire des modalités de passation des marchés publics alors même que la directive éponyme exclue explicitement les services sociaux et de formation professionnelle de l’obligation d’appel d’offre…. Difficile dès lors de masquer des choix politiques nationaux derrière le bouc émissaire bruxellois », commente le collectif SSIG (voir plus bas des liens utiles).

Dans un récente note sur l’exclusion des services sociaux, la Commission européenne a rappelé que « les services exclus du champ d’application de la directive services continuent, en tout état de cause, de relever de l’application des règles du traité CE, notamment celles de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services (article 43 et 49 du traité CE) [l’article 49 correspond à celui du Traité de Lisbonne] ». Tout cela confirme une chose : la concurrence libre et non faussée ne doit pas connaître d’obstacle, ce qui fait dire à la Commission que « les règles ou actes nationaux visant à régir l’offre des services exclus de la directive services restent donc susceptibles de faire l’objet d’une évaluation de leur compatibilité avec le droit communautaire par la Cour de justice, notamment au regard des articles 43 et 49 du traité CE précités ».

Cette réponse de la Commission fait suite à une question d’un grand intérêt : « Une délibération d’une autorité régionale qualifiant la formation professionnelle de SSIG et mandatant une ou plusieurs entreprises de la gestion de ce SSIG relève-t-elle d’un acte de mandatement pouvant justifier de l’exclusion de ce service social de la directive sur les services dans le marché intérieur ? » C’est donc non, toujours non… La suite au prochain blog.

Lire aussi :
Silence, on transpose la directive Bolkestein, diffusé par Attac :
http://www.france.attac.org/spip.php?article10491

Le site de veille SSIG, riche en informations :
http://www.ssig-fr.org

Sur le blog de Mélenchon, un des rares députés européens à mettre les pieds dans le plat à propos de la directive services :
http://www.jean-luc-melenchon.fr/2009/11/entre-deux-cauchemars

Temps de lecture : 8 minutes
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