Petite ou grande histoire

Denis Sieffert  • 12 novembre 2009 abonné·es

Le débat qui venait en conclusion de nos « assises pour le changement », dimanche après-midi, à la Bourse du travail de Saint-Denis, n’était sûrement pas le moment le plus original de ces deux journées fertiles en propositions de toutes sortes. Des échanges entre représentants de l’autre gauche, on en a vus au cours des mois derniers. Chaque université d’été a eu le sien. La Fête de l’Huma , aussi. Mais la rencontre de dimanche avait assurément une tonalité différente. Une tension inhabituelle entre ces protagonistes qui, pourtant, se connaissent et qui ne sont plus des débutants. La raison en est évidemment simple. Ce qui relevait, il y a quelques mois encore, de l’aimable controverse politique est aujourd’hui soumis à un impératif d’urgence. L’enjeu est connu : il s’agit de savoir si oui ou non cette « autre gauche » est capable de constituer des listes communes au premier tour des régionales, le 14 mars prochain. Mais c’est en vérité beaucoup plus que cela. Le test électoral étant dans nos pauvres démocraties le moment structurant du paysage politique, ce qui se fera ou ne se fera pas dans la perspective du prochain scrutin déterminera aussi, et pour longtemps peut-être, les contours d’une gauche qui est à réinventer. Et les regards se tournaient naturellement vers la représentante du Nouveau Parti anticapitaliste, Myriam Martin. Le NPA, qui tenait parallèlement conclave à Clichy, allait-il faire le choix de l’unité ?

Très vite, notre débat n’était plus tout à fait un débat, mais une véritable négociation publique (quelqu’un en a d’ailleurs fait la remarque). Presque une objurgation collective. Les arguments, adressés de plus en plus directement à celle que le NPA avait envoyée dans cette galère, se croisaient, se mêlaient, se répétaient. Ceux qui ont entendu les plaidoyers pour l’unité de Clémentine Autain ou de Claude Debons, ou de Christian Picquet ou de Jean-Jacques Boislaroussie, auront compris qu’il y a parfois en politique beaucoup d’engagement personnel et de sincérité. L’inquiétude était d’autant plus palpable que, du côté du NPA, on avait opéré les jours précédents un pas de clerc pour revenir finalement à des conditions dont chacun sait qu’elles ne peuvent être admises par ses partenaires virtuels, et notamment par le PCF. C’est l’exigence d’un serment préalable à ne pas participer à des exécutifs régionaux dominés par le PS et les Verts. Ce qui revient à se présenter à des élections en émettant le souhait préalable de ne pas être élu. Ce qui revient surtout à refuser de s’engager dans un processus de recomposition tant que la recomposition n’aura pas été totalement accomplie. C’est-à-dire, rien tant que le PS dominera électoralement la gauche française. Mais par quelle magie cette domination pourrait-elle prendre fin si ceux qui la contestent ne commencent pas par s’unir ? S’ils ne commencent pas par franchir la barre électorale des dix ou douze pour cent, enjeu raisonnable d’une première étape ? S’ils n’admettent pas que tout processus a un début et une fin, et qu’il convient de commencer par le début ? Disons-le franchement, face à ce questionnement collectif qui ne fut – il faut le souligner – jamais blessant ni agressif, mais de plus en plus pressant, Myriam Martin a fait preuve d’un réel talent. Il en fallait pour défendre, disons, le difficilement défendable… Évidemment, la jeune femme s’appuyait sur quelque chose de fort, et qui existe dans l’opinion, et notamment chez les jeunes : l’incrédulité. On pourrait dire, pour botter en touche, que les vrais responsables de ce qui apparaît aujourd’hui comme une impasse, ce sont les socialistes. Une génération entière n’a connu de leur part que renoncement et reniement. Et, trop souvent, les communistes leur ont emboîté le pas. Et certains à Europe Écologie glissent sur la même pente.

Mais ce n’est pas au moment où les communistes semblent réellement se détacher de cette stratégie mortifère qu’il faut, au nom d’un incurable scepticisme, les renvoyer dans le giron socialiste. S’ils ont bougé, c’est précisément que s’esquisse une nouvelle offre dont le Parti de gauche, la Fédération, les Alternatifs sont les artisans. Et si le NPA prend le pari de l’unité, la question se posera différemment aussi pour les Verts. Leur représentant, Jean-Vincent Placé, l’a redit dimanche dans un éclat de rire : « Nous souhaitons l’unité de l’autre gauche. » Il se peut (litote) qu’il y ait quelque arrière-pensée dans ce propos facétieux. Mais il est très probable aussi que beaucoup, chez les Verts, qui n’approuvent pas les aventures centristes de Cohn-Bendit examineraient une nouvelle offre de gauche cohérente, et de plus en plus écologiste. Comme l’ont montré nos assises, dont la véritable originalité résidait dans la confrontation des idées. Des idées et des propositions, il y en eut ! Et, au sein de cette autre gauche, n’est apparue, nous semble-t-il, sur le fond aucune divergence rédhibitoire. Il ne manque plus que la politique, et les jours sont comptés. Bien entendu, du point de vue de Sirius, cette affaire peut paraître microscopique. Aux principaux acteurs de l’autre gauche et de l’écologie de nous dire s’ils veulent rester dans la toute petite histoire, ou si leur ambition est d’une autre envergure.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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