Roman de l’absence

Prosateur virtuose,
Hubert Haddad livre une réflexion superbe sur l’écriture à la fois vitale et rendue impossible par la passion.

Laura Alcalaï  • 12 novembre 2009 abonné·es

Un écrivain s’est retranché dans un manoir face à l’océan breton, tout à sa douleur d’avoir perdu Fédora, la femme aimée. Il voudrait écrire un roman, mais n’en a ni la force ni finalement l’envie. Il rend compte de cette difficulté dans un journal intime dont la figure géométrique insaisissable et malléable pourra traduire les circonlocutions du rêve : « Le coq-à-l’âne de la rêverie, écrit-il, r épond à une algèbre diabolique qui pourrait dévoiler à chaque tournant de phrase la combinaison du coffre-fort au creux duquel somnolent génies et phénix, bien étalés sur l’amas de nos monstrueux trésors. » Au fil des pages, l’écrivain, tel un « gardien de phare » , scrute et interroge tout autant «  les messages et les signaux que [lui] envoient chaque criaillerie de mouette, chaque inflexion du vent ou griselis de nuage » que les vagues de souffrance, de regrets, de nostalgie et d’espérance qui déferlent et viennent mourir au bord de sa pensée.

Que reste-t-il quand on a tout perdu ? L’absence, répond Haddad, est « ce qui reste de plus précieux et de plus vivant […], de plus neuf » . Comme un écart entre soi et le monde à l’intérieur duquel l’art s’inscrit, tentative ultime et désespérée pour incarner ce qui n’est plus. Haddad témoigne que c’est par « le retrait besogneux, la foi en l’écriture, [la] croyance obsolète aux pouvoirs de l’imaginaire » que l’artiste parvient à cette « effraction de l’invisible » qui signe l’acte de création. On est loin de la posture infantile de ceux qui écrivent pour « passer » à la postérité : « Il vaut mieux passer à la poste hériter ! » s’amuse Haddad, citant Alphonse Allais. Pour l’écrivain vrai, le désir d’écriture répond à un élan non négociable qui le pousse vers des retrouvailles avec ce paradis perdu, qui se confond parfois avec l’amour et n’a d’autre réalité que celle que nous inventons. C’est à la découverte de cette réalité que l’auteur nous entraîne. Et, tandis que l’on bute sur la douloureuse altérité de l’être aimé, on s’imprègne de la stupéfiante beauté de la nature et des livres.

Baudelaire, Gide, Breton, Valéry et bien d’autres jalonnent ces pages, et nous font prendre conscience de notre dette à leur égard, eux qui ont parfois bouleversé notre vision du monde. Ce dernier roman est un vibrant témoignage du travail d’écriture qui fraie en nous le chemin de la poésie, seul recours pour échapper au « cauchemar universel ». « On ne meurt que d’avoir aimé, écrit Haddad, je crois dans un tombeau pareil au monde […]. Il est temps de regagner mon poste, là-haut, dans la chambre de veille. Qui se souviendra de moi ? »

Culture
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