Six mois ferme pour une pizza…

Nous avons passé une journée aux comparutions immédiates du tribunal de Paris. Au plus près d’une justice ordinaire souvent expéditive.

Marie Gagne  • 5 novembre 2009 abonné·es
Six mois ferme pour une pizza…

Métro Cité, premier arrondissement de Paris. Calé entre le quai de l’Horloge, la place Dauphine, le boulevard du Palais et le quai des Orfèvres, le Palais de justice, autrefois résidence des rois de France, abrite la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris, les services du parquet, les locaux du conseil de l’ordre, la plupart des tribunaux parisiens, tel le tribunal de grande instance.
C’est aussi le lieu des comparutions immédiates. Les dossiers y sont traités rapidement, dans l’urgence, devant une présidente et un procureur. Les prévenus se succèdent, défendus le plus souvent par des avocats commis d’office. Tout le monde peut assister à une audience, sans justifier de son identité.

13 heures, jour ordinaire au Palais. Sous une pluie fine, une file d’attente s’étire à l’entrée. Certains ont une convocation, d’autres pas. Anxiété de l’heure qui tourne. Portiques, couloirs. 18e chambre. Hall majestueux, escaliers imposants. Une jeune femme enceinte attend sur un des bancs en bois massif. Allées et venues d’hommes de loi, de gendarmes. Valses de robes, les avocats n’ont pas le temps de passer au vestiaire. Ils se changent dans le hall, téléphones portables vissés à l’oreille.

13 h 30, ouverture de la 18e ­chambre, entrée du public. Trois prévenus sont convoqués à cette audience. La première affaire, présentée un mois auparavant, avait fait l’objet d’un renvoi. Deux jeunes hommes de 18 et 20 ans comparaissent pour « vol aggravé » d’un carton de pizzas. Le livreur, absent au procès, a précisé qu’il n’a pas été blessé à la suite de l’agression. Sa sacoche contenant la recette des autres livraisons ne lui a pas été dérobée. À la question de la présidente « Pourquoi avoir volé ces pizzas et qu’en avez-vous fait ? » , l’un des garçons répond : « On avait faim. On les a mangées. » Le plus âgé, sous le coup d’une mise à l’épreuve, a déjà écopé de cinq mois de prison ferme pour extorsion. « J’ai besoin d’aide. Si je suis de nouveau incarcéré, j’aimerais bénéficier d’une aide à la sortie. » La présidente lui réplique que c’était à lui de prendre contact avec le juge d’application des peines à sa libération. « Je ne savais pas. J’ai écrit deux fois en prison pour demander cette aide. Je n’ai jamais été convoqué. » Parmi les pièces du dossier, une lettre de la psychologue de l’établissement pénitencier attestant de ses démarches. Le procureur requiert trois ans de prison (un an ferme et deux ans de mise à l’épreuve) pour les deux prévenus. Quelques heures plus tard, le tribunal retiendra six mois de sursis pour le plus jeune ; dix-huit mois, dont six de prison ferme avec mandat de dépôt pour l’autre.

14 h 15, deuxième dossier : soustraction à une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Récidive pour cet Égyptien de 25 ans, condamné une première fois en 2008 à un mois d’emprisonnement et à une interdiction du territoire français (ITF) de deux ans. Sa compagne, française, enceinte de huit mois, témoigne de leur vie commune et de l’équilibre qu’il apporte à sa première fille. Le prévenu travaille en boulangerie. Son souhait formulé dans un sanglot : « Connaître et pouvoir élever mon enfant avec ma compagne. » Le procureur requiert quatre mois d’emprisonnement et une interdiction du territoire de cinq ans. L’avocat souligne que, dans quelques semaines, l’enfant naîtra français : son père ne sera alors plus expulsable. Condamnation du tribunal : trois mois d’emprisonnement sans mandat de dépôt et une ITF de deux ans.

14 h 40. À l’évidence, le prévenu comparaît dans un état second, sous l’effet de médicaments. Il parvient difficilement à articuler quelques mots audibles. Son avocat a refusé de s’entretenir avec lui dans «  les conditions aussi déplorables que celles du dépôt » . Il arrive à faire dire à son client que des médicaments « pour dormir » lui ont été administrés à son arrivée au dépôt, il y a plus de 48 heures, après qu’il eut passé une garde à vue sans sommeil. Dans l’attente de son renvoi, le prévenu va rester en détention provisoire.

14 h 55, levée de l’audience et évacuation de la salle. Délibération du tribunal sur ces trois affaires. Attente, et les cent pas dans le hall.

16 h, annonce des verdicts. Menottes au poing ou escortés, les condamnés quittent le box. Quatre autres prévenus sont introduits.

16 h 15, une affaire de violences conjugales. Insultes et coups sous l’emprise de l’alcool. Le rapport de la CPAM fait état de plusieurs hématomes sur les bras et délivre deux jours d’incapacité à l’épouse du prévenu. À 69 ans, il n’a plus vraiment de domicile établi en France. Son souhait : « Rentrer en Serbie et pouvoir demander le divorce quand ma femme cessera de percevoir ma retraite et me rendra mon passeport. » Réquisition du procureur : 2 ans de prison dont 18 mois ferme, une obligation de travail et de domicile. Le tribunal le condamnera à un an d’emprisonnement dont 4 mois ferme, avec une obligation de soins.

17 h 10, un jeune homme comparaît à la barre. L’affaire remonte à plus de deux ans. Il est soupçonné du vol d’un coffre dans une chambre d’hôtel. Son dossier comporte beaucoup d’éléments obscurs, il a été reporté plusieurs fois. Le préjudice est estimé à 600 000 euros. Les victimes ont fait parvenir une lettre officielle le matin même : il n’y aura pas de poursuites. L’avocat de la défense s’interrogera même sur la réalité du vol ! Son client est soupçonné car on a retrouvé une veste avec son ADN sur le lit de la chambre cambriolée. Il ne sait comment l’expliquer : « Peut-être que quelqu’un me veut du mal, ou me faire porter le chapeau ? » Attaque du procureur : « Au nombre de dossiers traités en cinq ans, je connais bien cette communauté des gens du voyage. Croyez-moi, ils sont bien loin des questions d’ADN. » Il demandera un an ferme. Le tribunal relaxera le prévenu, au bénéfice du doute.

18 h 25, un homme d’une soixantaine d’années se lève dans le box. Pris en flagrant délit d’exhibition devant la porte de sa voisine. La jeune fille, à peine majeure, a tenu à se porter partie civile. L’enquête de voisinage dans cet immeuble cossu du VIe arrondissement décrit un homme s’adonnant souvent à ce genre de pratiques. « Une question de perception » , argumente ce professeur de philo, qui « cherche des signes d’approbation et de désir partagé chez [ses] voisins ». Le tribunal s’alignera sur la réquisition du procureur : 12 mois d’emprisonnement dont 6 ferme. La peine est accompagnée d’une obligation de suivi psychologique durant trois ans. S’y ajoute un versement de deux mille euros pour préjudice moral.

19 h 35, une accusation de séjour irrégulier en France et une soustraction à une obligation de quitter le territoire français. Le prévenu, assisté d’un interprète, s’est présenté plusieurs fois à la justice sous différentes identités et diverses nationalités. Il dit avoir une carte de séjour espagnole et s’être rendu en France pour visiter un oncle malade. Mais les services d’immigration espagnols ne le connaissent pas. Le procureur demande 6 mois d’emprisonnement et 10 ans d’une interdiction du territoire français (ITF). Le prévenu supplie en français qu’on le laisse prendre le premier TGV pour l’Espagne. Le tribunal retiendra 3 mois d’emprisonnement et une ITF de 5 ans.

19 h 55, levée de l’audience, évacuation de la salle. L’audience reprendra une heure et demie plus tard, avec le verdict pour les quatre derniers prévenus.

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