Bizi décoiffe le militantisme

Un jeune mouvement écologiste et altermondialiste basque s’est imposé en quelques semaines comme un acteur incontournable des mobilisations sociales et climatiques. Reportage.

Patrick Piro  • 3 décembre 2009 abonné·es

Dimanche 15 novembre, 11 heures. Rond-point du Grand-Basque, les voitures convergent vers l’Intermarché de Bayonne, ouvert 7 jours sur 7 depuis quelques mois. Soudain, une quarantaine de T-shirt verts envahissent le magasin : opération « coup-de-poing » des militants du mouvement Bizi contre le travail dominical.

En quelques minutes, l’ambiance s’est singulièrement colorée dans les rayons : on sert le pastis sous des parasols, sur un clic-clac lestement déployé un couple fait la grasse matinée sous la couette, un cycliste folâtre dans les allées, on joue à la pétanque et au badminton entre les gondoles. À l’entrée, une équipe distribue des tracts. Sarkozy y exhorte les flemmards à en finir avec ces passe-temps du dimanche « qui n’apportent rien à la croissance ». « Alors on vient les pratiquer au supermarché, puisque la semaine entière est désormais dédiée à la consommation, explique, pince-sans-rire, Nicolas Ducoulombier aux clients. On attend même avec impatience l’ouverture nocturne ! » Un jeune couple, interloqué : « Ils sont vraiment pour ? » Un retraité pique du nez : « J’ai honte, c’est nul de cautionner le travail le dimanche… » Très cool, une jeune femme se déclare « totalement en accord avec Bizi ; mais bon, aujourd’hui, c’est l’anniversaire de mon chéri. Des aiguillettes de canard, qu’est-ce que vous en pensez ? »

Débordé malgré le renfort d’une poignée de policiers, le directeur joue l’apaisement – «  le dimanche, je ne fais travailler que des étudiants… » « Une prochaine fois, on s’attend à les voir un peu plus agacés », pronostique Jean-Noël Etcheverry, l’un des principaux animateurs de Bizi.
Ce mouvement jeune, informel, créatif, en expansion rapide, s’est donné pour objectif premier de mobiliser l’opinion basque sur les enjeux du sommet de Copenhague. Il a déjà rallié plus de quatre-vingts personnes – 30  ans de moyenne d’âge – depuis son apparition inaugurale en juillet dernier : des « cadres » en costard-cravate et tailleur-talons aiguilles sur le sable d’Anglet.  « C’était déjà un dimanche, pour inciter les vacanciers à quitter la plage et à aller bosser, ce que la loi s’apprêtait à autoriser » , explique Fanny Archet. « Il est important pour nous de montrer que la quête effrénée de la croissance et de la consommation, l’invasion de chaque interstice de la vie sociale par le travail et la rentabilité, tout cela concourt à aggraver les émissions de gaz à effet de serre » , justifie Xalbat Daguerressar. Au Pays basque, cet automne 2009, exceptionnellement pluvieux, porte les rumeurs du dérèglement climatique. Le 18 septembre, la Nive a même versé dans le quartier Petit-Bayonne, noyant de nombreux rez-de-chaussée.
Bizi – « vivre » en langue basque – s’est installé sans complexe à la charnière des luttes environnementales et sociales, un pas que de nombreuses organisations sectorielles peinent à franchir. Le mouvement entend aussi propager un souffle nouveau au sein de la militance locale. Il a émergé à l’initiative d’une dizaine de militants de Démo, mouvement non-violent de revendications basques [[L’officialisation de la langue, la création d’un département
et le rapprochement des prisonniers politiques.]]. « On s’étiolait, en peine de résultats » , convient Xalbat Daguerressar. Alors que, dans la région, montaient d’autres batailles importantes, comme le refus du maïs OGM, de l’autoroute transnavarraise ou de la ligne ferroviaire à grande vitesse – 9 hectares de terre consommés par kilomètre de rail…
« Nous avons voulu nous investir dans les luttes écologistes, elles sont liées à la défense de la terre et à la culture basque, justifie Richard Lapegue. À quoi bon se battre pour nos valeurs si on conserve le même système ? »

Les transports constituent un épais dossier. En août, quand Bizi décide de faire ­connaître ses projets, c’est en organisant un tour du Pays basque en caravane de vélos. Sur la bande côtière, engorgée, on recense la plus forte proportion de voitures par habitant en France, et des transports en commun minimalistes. Au début de l’automne, à l’appel de Bizi, une centaine de cyclistes investit en bloc l’axe critique « Bayonne-Anglet-Biarritz », pour défendre le projet d’une voie de bus en site propre avec gratuité des transports. Le syndicat mixte, qui travaille sur le schéma des transports, accepte d’étudier ces propositions. Le collectif Oldartu, composé d’une douzaine de mouvements sociaux et de partis basques (Attac, Solidaires, NPA, Batasuna…) et né en même temps que Bizi, s’agace un peu de se voir griller la politesse sur un de ses terrains de revendication. Mathieu Accoh, secrétaire local du Parti de gauche, est admiratif : « On aimerait travailler avec eux. Mais ont-ils besoin de nous ? Ils savent attirer les jeunes et les médias, ils sont enthousiastes, efficaces… »

Actions ludiques, blogs et caméras au bout des doigts, ateliers de création graphique ; pas de structure officielle, des porte-parole désignés au gré des mobilisations ; « Pertinence du message, insolence de l’action, je mourais d’envie d’en être quand j’ai vu les vidéos qui tournaient ! », s’anime Magali Lartigue. Les anciens n’en reviennent pas, tel Nicolas Padrones, l’un des Démo chevronnés du lancement. « Je suis stupéfait par cette dynamique. C’est un petit pays, ici. On pense tous se connaître, et pourtant je vois des dizaines de nouveaux, très motivés et de grande qualité… »

Le mouvement a fait le choix de placer ses premières actions, qui s’enchaînent presque hebdomadairement, sous le signe de l’urgence climatique. Vingt militants de Bizi feront le voyage à Copenhague, dans la rame affrétée par les Amis de la Terre. « On se posera après » , explique Jean-Noël Etcheverry. Certains manifestent déjà leur impatience de reprendre le cours des réflexions qui faisaient l’ordinaire du mouvement lors de sa gestation. « Je ne suis pas au clair avec cet activisme », avoue Fanny Archet. Avec son compagnon, Richard Lapegue, elle est cependant sur la liste d’attente pour Copenhague, avec l’espoir de bénéficier d’un désistement.

Publié dans le dossier
Copenhague, génération climat
Temps de lecture : 5 minutes