Directive Bolkestein : les services sociaux passeront-ils à la moulinette libérale ?

Thierry Brun  • 21 décembre 2009
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Désolé d’avoir à jouer les trouble-fête, lecteurs attentifs de ce blog, mais notez bien cette date du 21 janvier 2010. Ce jour-là, la majorité sarkozienne au Parlement devra sortir du bois en se prononçant sur un texte capital relatif à la transposition de la directive Bolkestein de libéralisation des services.

La concurrence libre et non faussée s’appliquera-t-elle ou non à l’entièreté des services ? La réponse à cette question qui concerne près de 70 % de l’économie française devrait intervenir en France lors d’un débat en séance publique à l’Assemblée nationale, qui aura lieu le 21 janvier 2010 dans le cadre de la transposition de la directive européenne sur la libéralisation des services, dite Bolkestein.

Ce débat qui se conclura par un vote le même jour portera sur une proposition de loi relative à la protection des missions d’intérêt général « imparties aux services sociaux et à la transposition de la directive services » (n°2149, déposée le 9 décembre 2009).
On doit cette initiative parlementaire non pas à la majorité sarkozienne mais au groupe socialiste, au motif que « l’ensemble de la représentation nationale n’a pas été associé à ces travaux [sur le processus de transposition de la directive services] et n’a pu en débattre publiquement » .

Un prétexte bien tardif, car le gouvernement et la majorité sarkozienne se sont attelés à la tâche dès 2008 avec la loi de modernisation de l’économie et ont avancé à grands pas, en catimini, et en procédant par étape au toilettage du droit actuel par le biais de plusieurs textes. Rappelons ici que le cabinet privé Lexis Nexis a été promu législateur de cette transposition de la directive services en adaptant un texte dit de « simplification et d’amélioration de la qualité du droit » pour le compte du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Jean-Luc Warsmann (UMP), pour la modique somme de 84 000 euros. Les socialistes avaient sans doute oublié de lire le contenu de ce texte adopté le 2 décembre.

L’on sait cependant que ladite directive ne sera pas transposée dans son intégralité le 28 décembre 2009. Un certain nombre de dossiers sont en effet restés en suspens après cette date butoir fixée par la Commission européenne pour achever le processus de mise en concurrence, notamment celui des services sociaux. Car, contrairement à d’autres pays, la France a adopté une technique de transposition volontiers opaque pour l’un des principaux piliers des « réformes structurelles », avait souligné le sénateur UMP Jean Bizet, membre de la commission des Affaires européennes du Sénat, dans un rapport d’information du 17 juin.

« Le gouvernement français a abandonné l’objectif […] de déposer un projet de loi-cadre pour transposer la directive services », expliquait le sénateur, « en grande partie par des considérations politiques tenant de la forte sensibilité des implications de la directive services sur les professions réglementées par exemple. Une loi-cadre de transposition pourrait en effet servir d’épouvantail à tous ceux qui seraient tentés d’instrumentaliser un exercice essentiellement technique à des fins électorales. Elle ne doit pas constituer un prétexte à la “cristallisation” des mécontentements de tous ordres, d’autant plus nombreux en période de crise » . En clair, le gouvernement sarkozien a voulu éviter les ennuis politiques qu’avaient suscités l’adoption de la directive Bolkestein, notamment le principe « du pays d’origine » et la liberté de circulation des desdits services.

Ainsi, les parlementaires se réveillent après qu’une grande partie de ce qui constitue l’un des points forts de la directive a déjà été transposé : il s’agit de la constitution des « guichets uniques », qui ont pour règle de « simplifier davantage les procédures administratives, il convient de veiller à ce que chaque prestataire ait un interlocuteur unique par l’intermédiaire duquel il peut accomplir toutes les procédures et formalités ». Et donc lever les obstacles à la libre circulation des services dans l’Union européenne.

Mais le 21 janvier 2010 , comme on vient de le dire, une nouvelle étape de la libéralisation des services se déroulera devant l’Assemblée nationale. On saura si les services sociaux d’intérêt général (SSIG, plus d’un million d’emplois), c’est-à-dire « relevant de la protection sociale, de la cohésion sociale, de la solidarité nationale et de la mise en œuvre des droits fondamentaux à la dignité et à l’intégrité humaines » (par exemple les soins de santé, le logement social, l’aide à l’enfance et aux familles ainsi que tout autre service social destiné aux personnes dans une situation de besoin), passeront ou non à la moulinette de la concurrence libre et non faussée.

Il reviendra donc à un gouvernement se prévalant d’une Europe qui protège , « de définir de manière large le périmètre des services sociaux que la directive exclut expressément de son champ d’application à l’article 2.2.j ; de préciser le droit applicable aux services sociaux non économiques également exclus ; de permettre l’utilisation des nouvelles garanties offertes par le traité de Lisbonne, récemment entré en vigueur, pour permettre aux autorités publiques, non seulement nationales mais également régionales et locales, de sécuriser les services d’intérêt économique général » .

Plus largement, explique le collectif SSIG, « cette proposition de loi met un terme à la politique de la France consistant à ne pas traiter cette question publiquement » (nous le disions dès le mois de mai 2009) et elle veut contraindre le gouvernement à se positionner sur des services publics auxquels les règles de concurrence et du marché intérieur ne s’appliqueraient pas. Elle compte aussi s’appuyer sur les nouvelles dispositions du Traité de Lisbonne (article 14 et 106 du TFUE, article 1 du protocole sur les SIG, article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE).

En résumé, l’attitude jusqu’à présent très libérale du gouvernement en matière de services est en cause , ce qui a suscité le constat lapidaire du collectif SSIG d’une « Europe qui protège les services sociaux dans les Etats membres excepté en France » . En rejetant ou en amendant le texte, c’est le signe que la France ouvre la porte à une plus grande libéralisation des services, de tous les services, alors que la Belgique a exclu dans une loi fédérale les services sociaux de la directive services ainsi que les Pays-Bas, qui ont adopté une loi nationale.

Le gouvernement devra aussi afficher ses choix (nous les avions précisés en publiant des extraits d’une note du ministère des Finances). Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat chargé de l’Emploi, n’a pas caché que les SSIG sont une notion « totalement vide » et que seules s’appliquent les règles de concurrence et le code des marchés publics. Aucune protection juridique n’a jusqu’à présent été donnée par le gouvernement aux services sociaux en France, or la date butoir du 28 décembre les rend très vulnérables au regard du droit communautaire. Les socialistes font remarquer que les collectivités locales vont être mises en difficulté si aucune législation nationale n’est adoptée pour protéger les services sociaux. A quelques mois des élections régionales, on voit aussi à quelle cuisine électorale se livrent ces élus…

Lire ici une pétition nationale « SOS services sociaux en danger » venant du Mouvement pour une parole politique des professionnels du champ social (MP4)

Temps de lecture : 6 minutes
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