« Il n’y a pas de planète B ! »

Pour la première fois, les troupes environnementalistes et altermondialistes se sont massivement retrouvées côte à côte à Copenhague. Prises par le sentiment de l’urgence, et parfois du doute.

Patrick Piro  et  Claude-Marie Vadrot  et  Jean Sébastien Mora  • 17 décembre 2009 abonné·es

La nuit hivernale est tombée sur Copenhague depuis trois bonnes heures, et la température avec. Mais une foule dense de manifestants piétine encore devant la tribune. Ils étaient près de 100 000 à converger samedi dernier vers le Bella Center, où ruminent les négociateurs climatiques. Le secrétaire du sommet, Yvo de Boer, invité à s’adresser à la foule, exprime sa communion avec l’immense mobilisation. Avec une sincérité apparente. Que faire d’autre ? La manifestation est un succès historique, malgré la casse provoquée par l’irruption des anarchistes des Black Blocks et le zèle de la police – près de mille arrestations, dont au moins les deux tiers sans rapport avec les troubles !

C’est la première fois que le climat suscite une telle mobilisation. Jusqu’à présent, seuls les environnementalistes descendaient dans la rue, et ils étaient très peu dans un pays comme la France, par exemple. À Copenhague, les organisateurs attendaient deux fois moins de militants. Mais la nouveauté, c’est surtout leur jeunesse et leur diversité : plus de 500 organisations représentées, issues de 67 pays – organisations environnementalistes, de solidarité internationale, caritatives, indigènes, spirituelles ; mouvements sociaux, de jeunesse, syndicats ; partis écologistes et de gauche ; milliers d’individus sans attache, parfois très fraîchement débarqués… « Il y a trois mois, je n’avais aucune conscience du problème climatique, reconnaît Charlotte, parisienne. C’est un copain qui m’a branchée, je ­découvre un million de trucs ! » Le bus peinturluré de la Caravane solidaire est venu de Toulouse en deux jours, convoyant un échantillon représentatif de militants – DAL, clowns activistes, Roule ma frite, Emmaüs, Attac, faucheurs, Désobéissants, etc. Un autre bus moins voyant est venu afficher les couleurs de Lille, avec élus, jeunes d’associations de quartier, militants divers.

L’urgence de mettre l’humanité en branle vers la sortie du tunnel est très largement partagée. Une quinzaine de « climato-sceptiques » BCBG et pathétiques – « Ne volez pas ma liberté ! » – sont submergés par des centaines de panneaux pressants : « Il n’y a pas de planète B » ; « Justice climatique maintenant » ; « La nature n’a que faire des compromis » ; « La planète, pas les profits »… 

Le directeur international de Greenpeace prend la parole. « Puisqu’on ne peut pas changer la science, changeons la politique, et s’il le faut, les politiciens. » C’est le pôle des ONG environnementales qui appelait à la manifestation, avec pour mot d’ordre « Planet first, people first » (la planète d’abord, les gens d’abord). Trop neutre, regrettaient les mouvements sociaux, qui ont préféré gonfler les rangs de la mobilisation derrière une bannière plus offensive : « Changez le système, pas le climat ! » Venus en nombre, ils donnent au défilé des airs de forum social mondial. Et, comme lors de la dernière édition de celui-ci, en janvier dernier à Belém (Brésil), les peuples indigènes ont été appelés aux premiers rangs, victimes et messagers emblématiques. Aux côtés des Aymaras, Quechuas, Mayas, Lacandons d’Amérique latine, les Sami du cercle polaire racontent cette même histoire poignante, celle de leur Terre mère blessée. « Nous avons encore perdu 300 rennes, noyés à cause de la glace qui s’effondre sur les lacs, s’emporte Anne-Marit Pentha, Suédoise de 18 ans. Notre vie dépend de la nature. Elle bascule, et il n’y a personne au gouvernement pour nous écouter… »

La droite est totalement absente. Les écologistes sont nombreux [^2]. Quelques rangs sociaux-démocrates [^3], bien plus fournis sur leur gauche. Olivier Besancenot, chef de file du NPA, défile à quelques encablures des spiritualistes végétariens. « Je n’en savais rien ! dit-il. L’important, ici, c’est que nous assistons à la jonction entre l’écologie sociale et l’altermondialisme. Ce n’est plus l’environnementalisme neutre, on attaque les multinationales, on conteste le droit de faire du business sur les émissions de carbone. C’est visiblement un événement fondateur. »
À vérifier dans la durée. Car, dans l’exercice quotidien, ces familles militantes ne se rencontrent guère à Copenhague [^4]. Les forces vives des grosses écuries environnementalistes (Greenpeace, WWF, Réseau action climat, etc.) campent au Bella Center avec leurs experts pour faire pression sur les délégations gouvernementales, dans l’espoir qu’elles parviennent à un « bon accord » . Alors que la plupart des militants de la galaxie « alter » ont pris leurs quartiers au Klimaforum, vaste « sommet » alternatif et bigarré logé dans un complexe sportif à deux pas de la gare de Copenhague, foisonnant de conférences et de propositions [^5]. Un consensus radical s’y dégage : plutôt « pas d’accord » qu’un mauvais accord à Bella Center. Le business « climat » et ses fausses solutions sont dénoncés – marchés de carbone, semences OGM adaptées, agrocarburants, nucléaire « sans CO2 », etc. –, et la revendication d’une « justice climatique » pour les populations défavorisées est centrale.

Malgré le succès de la manifestation de samedi, les militants de base montrent pourtant un peu de blues face à la machine indifférente du sommet officiel. « À quoi cela mène-t-il ? Ne faudrait-il pas être plus radical, comme les Black Blocks ? » , s’interroge, désabusé, Diego Cardona, militant colombien d’un mouvement de sauvegarde des forêts tropicales. Certains expriment une fêlure face aux espoirs fugaces, aux demi-promesses et aux bonnes paroles échappées du Bella Center. Le sommet et les protestations viennent « trop tard »  : la conclusion revient dans la bouche de ces militants. Comme dans celle de ce grand chef de la tribu des Indiens Déné, venu de Yellow­knife, capitale du grand Nord-Ouest canadien, qui redoute que son territoire continue à se transformer sans que nul ne s’en émeuve vraiment.

[^2]: Cécile Duflot pour les Verts, José Bové, Yannick Jadot, Jean-Paul Besset, etc., pour Europe Écologie.

[^3]: On attend Martine Aubry dans la semaine.

[^4]: 832 organisations non gouvernementales ont été accréditées.

[^5]: D’autres mobilisations autonomes se sont donné rendez-vous à Copenhague : Désobéissants, communauté de Christiania, etc.

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