L’État débiteur

Il y a beaucoup moins de « fraudeurs » que de personnes ne touchant pas les aides qui leur sont dues.

Eva Delattre  • 24 décembre 2009 abonné·es

Pauvres, âgés ou handicapés, ils devraient bénéficier de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), toucher l’aide pour l’autonomie (APA) ou encore l’allocation aux adultes handicapés (AAH)… Et pourtant, par principe ou par contrainte, ils ne les demandent pas. Bien moins médiatisé que l’épiphénomène des « fraudeurs » ou des « profiteurs » auxquels le gouvernement livre une guerre – au moins médiatique – sans merci, le non-recours aux prestations sociales est un vrai phénomène de société. « S’il est impossible de connaître avec exactitude son ampleur, on sait que, pour un euro trop perçu, il y a trois euros non versés, comme nous avons pu le constater dans notre département, concernant les prestations légales », explique Philippe Warin, directeur de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) à Grenoble.
Tous les types de prestations sont concernés, même si, selon les cas, la proportion de non-recours varie de 10 à 90 %. Les raisons ? La production d’une information peu claire de la part des organismes payeurs, les difficultés « techniques » au moment du paiement des droits, la lassitude de devoir montrer patte blanche, ou la peur d’être stigmatisé.
« Cela pose le problème de la légitimité et de l’effectivité des politiques sociales, poursuit Philippe Warin. Il est en tout cas scandaleux que la méconnaissance des droits et la complexité des dispositifs conduisent à priver des personnes de ressources dont elles ont besoin, et à rogner ainsi l’exercice de la citoyenneté sociale. » D’autant que, si le non-recours touche toutes les catégories, les plus précaires sont évidemment en première ligne, comme le démontre une recherche (1) réalisée en 2008 par l’Odenore sur le renoncement aux soins. À l’heure de la privatisation rampante de la Sécu, de l’augmentation des franchises médicales et des déremboursements en tout genre, l’amplification du phénomène est prévisible.
Alors, à qui profite le non-recours ? « On peut émettre l’hypothèse que cet état de fait arrange les pouvoirs publics, qui redoutent une explosion des budgets sociaux », estime Philippe Warin. De quoi regarder d’un autre œil le standard saturé d’un Pôle emploi qui déborde faute d’embauches… Au-delà du problème moral et légal que pose l’impossible application du droit par l’État, reste à savoir quel est le coût, tout aussi réel, du non-recours pour les contribuables : le « coût » d’une famille maintenue dans la pauvreté et qui ne parvient pas à rembourser ses crédits, ou le « coût » d’une maladie soignée trop tard…

(1) http://odenore.msh-alpes.fr

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