Trois garçons sous la pluie

Le deuxième album
de Megafaun impressionne par sa richesse musicale et son inventivité.

Jacques Vincent  • 10 décembre 2009 abonné·es

Megafaun, c’est les frères Cook – Brad et Phil – et leur copain Joe Westerlund, né dans une ville du Wisconsin nommée Eau Claire, ce qui est presque trop beau pour être vrai, d’autant plus pour quelqu’un qui joue aujourd’hui une musique dans laquelle l’élément liquide est très présent, soit simplement évoqué par l’un ou l’autre des instruments, soit utilisé pour les sonorités particulières qu’il peut offrir. Leur groupe précédent se nommait DeYarmond Edison, ce qui témoigne d’un goût certain pour les noms qui sortent de l’ordinaire. Sur l’unique photographie contenue dans leur deuxième album, les trois compères posent à cheval et ressemblent comme deux gouttes d’eau – on n’en sort pas – à ce que pourraient être les enfants de ZZ Top. La ressemblance ne touche heureusement pas la musique, que la biographie rapproche de celle d’un autre trio, Crosby, Stills and Nash.
Une analogie que seules les harmonies vocales du deuxième morceau peuvent justifier. Pour le reste, c’est une fausse piste, trop simple de toute façon pour des gens capables de citer le Band et Anthony Braxton dans la même phrase. Et ce qui nous plaît, au-delà des extraordinaires qualités musicales de Megafaun, c’est aussi cette résistance à se laisser enfermer dans des schémas. Ce qui fait sans doute aussi que le groupe échappe malheureusement à un certain engouement largement partagé pour le courant folk actuel. Même si guitare et banjo sont les instruments de base, même si des titres comme « Worried Mind » ou « The Longest Day » sont des merveilles du genre, il est en effet assez difficile de le classer dans cette catégorie, ou alors il faut évoquer certains groupes de la fin des années 1960 comme Insect Trust ou Pearls Before Swine, pour lesquels le folk était une source majeure d’inspiration mais loin d’être la seule, et dont la caractéristique était justement d’ouvrir sur des champs musicaux inattendus.

Plus proche de nous, on pensera aussi à Mercury Rev ou aux High Llamas, non pas de manière littérale mais pour une liberté revendiquée dans la construction des compositions au caractère impressionniste. Exemples : « Impressions Of The Past » et son introduction de plus de quatre minutes faite de grincements, de dissonances et de perpétuels changements de rythmes comme autant de changements de décors ; « Darkest Hour » : bruits de tempête, d’eau, dont la chute des gouttes finit par se muer en percussion, chants d’oiseaux, puis nuages de voix qui émergent du paysage avant d’être englouties dans le flot sonore d’une parenthèse de musique concrète, puis de renaître et de prendre finalement le dessus. Il y a en effet quelque chose de pictural dans l’agencement des sons, dans ce collage de voix, d’instruments acoustiques, d’instruments électroniques, de sons de la nature…
Autre élément revendiqué dans ce processus : l’improvisation. On imagine effectivement très bien les morceaux naître à travers ce processus collectif engendrant des esquisses sur lesquelles se greffent des formes sonores aux couleurs variées. C’est un art du presque rien sublimé, une économie de moyens compensée par une rare intelligence musicale et un extraordinaire sens mélodique. Un art dans lequel tout est permis, même le silence.

Culture
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