Tuvalu refuse l’aumône

La petite nation au milieu du Pacifique est virtuellement condamnée par l’accord laxiste.

Patrick Piro  • 24 décembre 2009 abonné·es

Les yeux rougis de larmes, il ne veut pas retourner tout de suite en salle plénière : ce n’est pas très présentable pour un négociateur. Si Melton Tauetia craque, ce n’est pas tant à cause du marathon des discussions stériles que de rage. Coordinateur national pour le changement climatique du gouvernement de Tuvalu, il ne supporte plus le cynisme de la conférence de Copenhague. « C’est très triste… » Son Premier ministre, Apisai Ielemia, vient de le répéter en conférence de presse : « 1,5 °C d’augmentation de la température planétaire, c’est le maximum que nous pouvons accepter. Nous n’avons pas de montagnes où nous réfugier. C’est pourquoi nous sommes venus dire au monde entier d’arrêter les émissions de gaz à effet de serre. Nous ne voulons pas disparaître. N’avons-nous pas le droit d’exister en tant que nation ? Notre futur n’est pas négociable ! » Réponse à l’arrogant « Le mode de vie des Américains n’est pas négociable » de Bush père en 1992, et dont l’écho semble tellement présent dans les propositions chiches des pays riches.

Le plafond de 2 °C retenu par l’accord de Copenhague condamne probablement les neufs archipels coralliens de Tuvalu à devenir invi­vables d’ici à deux générations, en raison de la hausse du niveau de la mer. « Notre voix ne compte pour rien hors de l’ONU. Pour nous, c’était Copenhague ou jamais, explique Melton Tauetia. Mais les pays riches n’ont parlé que de défendre leurs intérêts économiques et du confort de leurs peuples. Pour nous, il ne s’agit pas de préserver notre compétitivité internationale, mais simplement de survie. Nous avons compris que nous ne pouvons plus compter que sur nous-mêmes. »

Il l’affirme, les siens ne lâcheront jamais l’affaire. Certes, les pays riches ont promis d’aider les pays pauvres à s’adapter aux impacts du dérèglement. « Qu’avons-nous à faire de ces dollars ? Ils nous serviront peut-être aujourd’hui, mais quelle importance ? J’ai 43 ans, et dans vingt ans Tuvalu sera encore vivable. C’est pour les générations futures que l’on se bat. Ces promesses ne leur serviront à rien si les émissions continuent de ­croître. Les États-Unis ont donné leur accord pour 100 milliards de dollars d’aide annuelle aux pays du Sud après 2012, mais c’est une sorte d’aumône – “Prenez ça, et laissez-nous tranquille avec notre mode de vie.” Si nous nous contentions de cet argent, nous serions de purs égoïstes. »

En dehors de l’exil, rejeté avec véhémence, l’« adaptation » n’a aujour­d’hui qu’une traduction pour les Tuvaluans : la construction d’une île artificielle suffisamment élevée pour affronter la mer montante. Le projet est soutenu par les deux seules associations qui se consacrent actuellement à la solidarité avec Tuvalu, et dont l’une est française, Alofa Tuvalu (l’autre est japonaise). Il est question de lancer une étude, mais aucun budget n’est encore disponible. Peut-être un jour, amère compensation, via le guichet financier promis par Copenhague…

Écologie
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