Un sommet d’égoïsme

Les bulldozers de la domination économique sont présents avant tout pour défendre leurs intérêts nationaux. Quelle valeur ont alors les promesses faites aux pays du Sud ?

Claude-Marie Vadrot  • 17 décembre 2009 abonné·es

D’un côté, dans l’immense salle de négociation et dans les couloirs du Bella Center, 195 diplomates et experts officiellement accrédités pour les États-Unis, 190 pour la France, 113 pour l’Australie et 109 pour l’Allemagne. De l’autre, 3 pour la Tunisie, 26 pour l’Algérie, 5 pour la Jordanie, 2 pour l’Ouzbékistan, 30 pour les Maldives, 2 pour Vanuatu… Il n’y a pas photo, même si le Brésil bat tous les records avec 739 accrédités : y compris les 11 représentants de Petrobras, la compagnie pétrolière nationale, trois délégués du WWF et le patron de Coca-Cola-Brésil. Illustration parfaite du choix fait par de nombreux grands pays du Nord ou du Sud, et de nombreux Européens : ils ne sont pas vraiment venus régler les modifications climatiques, et leurs packs d’experts comptent surtout défendre des intérêts purement nationaux. Alors, face aux bulldozers de la domination économique et des égoïsmes, souvent conjugués, les petits pays du Sud ou perdus dans la mer, déjà atteints par la sécheresse ou les cyclones, ne font pas le poids et courent après une négociation conçue pour les dépasser en les ballotant de promesse en promesse.

L’examen du médiocre texte sans contraintes proposé vendredi dernier aux délégués, sans qu’il leur soit possible de poser une seule question, illustre le fonctionnement d’un « parlement » international non fondé sur la démocratie. Un fabuleux caravansérail bien propre sur lui, surmonté d’une énorme éolienne, dans lequel se croisent en permanence des milliers de délégués en costume gris ou bleu, fouillés et vérifiés à l’entrée comme s’ils montaient dans un avion. Un univers de toc, de malbouffe et de gaspillage dans lequel une partie des négociateurs se sentent mal à l’aise : trop riche pour parler de pauvreté et de solidarité. De temps à autre, passe un vendeur de pommes bios, seul alibi écolo de cette miniville peuplée de gens qui se rencontrent depuis des années. Contrairement à la discipline librement consentie du Klimaforum, les délégués jettent n’importe quoi dans n’importe quelle poubelle. Le rappel subliminal que l’écologie c’est bon pour les militants qui défilent à la télé, comme un médiocre feuilleton dont les délégués se lassent rapidement.

Alors que les Américains, les Anglais, les Chinois, les Brésiliens ou les Allemands peuvent se répandre partout dans les couloirs pour faire avancer leurs pions, les pays du Sud, sauf peut-être le Mali, qui a mis le paquet avec 80 délégués, ne réussissent jamais à parer les mauvais coups, à courir à temps vers la bonne « réunion informelle », à discerner la virgule assassine qui dénature une phrase déjà volontairement obscure. Et lorsqu’ils prennent la parole, ils agacent : la conférence sur le climat n’est pas là pour aider les peuples désespérés mais pour voir comment il va être possible de transformer une menace climatique en un nouveau flux de bonnes affaires pour les pays dominants – ou qui aspirent à le devenir. Les autres ne semblent présents que pour faire de la figuration. Y compris, pour certains, quand il s’agit de mesurer comment (et combien…) ils vont pouvoir récupérer l’aide que l’accord leur proposera chichement.

Au bal des faux-culs, la France joue plutôt bien sa partie, le Président, Jean-Louis Borloo et Brice Lalonde (troisième délégué du protocole) distribuant aux écologistes, aux associations de protection et aux petits pays une impressionnante collection de bonnes paroles. Difficile de savoir ce qu’il en restera vendredi quand tous les égoïsmes auront été additionnés. D’autant plus que Nicolas Sarkozy a confié vouloir provoquer un sommet extraordinaire de l’UE dans la dernière ligne droite. Sans doute pour masquer l’échec dont bruisse la conférence. Et justifier le fait que, grâce à lui, nouveau « maître du monde » qui a fait un numéro étonnant aux associatifs reçus vendredi dernier, le pire aura été invité. Le pire : une Europe ne résolvant aucune de ses contradictions égoïstes ; ainsi la Roumanie ou la Bulgarie, par exemple, ne jouent pas dans la même division que la France ou l’Allemagne.
Déjà, tous les délégués de Copenhague rêvent de la prochaine conférence à Mexico.

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