Vivement Le Procès!

Sébastien Fontenelle  • 19 décembre 2009
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Éric Besson, ministre UMPréposé aux questions identitaires et migratoires, «a décidé jeudi 17 décembre de porter plainte contre Jean-Christophe Cambadélis, membre de la direction du PS, et Gérard Mordillat, romancier et cinéaste» .

Motif: ces «deux hommes» ont tenu des «propos publics» assimilant « son action (…) et celle des agents de son ministère aux heures sombres du régime de Vichy et à l’entreprise criminelle d’extermination des Juifs pendant le Seconde Guerre mondiale ».

À mon avis, Éric Besson n’aurait pas dû se précipiter au tribunal.

Parce que bon, quand même: Éric Besson est d’un parti – au sens large – où sévit depuis moult année un petit bataillon de clercs spécialisés dans cette forme très particulière – et singulièrement dégueulasse – de terrorisme intellectuel qu’est le chantage, permanent, au fascisme, au nazisme, et autres saloperies de même catégorie.

Éric Besson le sait, au reste, fort bien: Éric Besson a même envisagé, naguère, de porter plainte contre Alain Finkielkraut, après qu’Alain Finkielkraut avait qualifié de «lapsus fasciste» une phrase d’Éric Besson (période rose) portraiturant Sarkozy en «néoconservateur américain à passeport français» .

Finalement, Éric Besson n’avait bien sûr pas (du tout) porté plainte: merde alors, il n’allait tout de même pas importuner un homme qui, certes, a poussé le délire « jusqu’à inventer le concept d’«Année de cristal»» -, mais que Sarkozy tient cependant pour «un intellectuel qui fait honneur à l’intelligence française» .

Itou: Éric Besson a négligé de saisir la justice (de son pays), quand un autre penseur d’époque, l’ahurissant Max Gallo, a stigmatisé dans la revue Médias , peu de temps après l’élection du nouveau chef de l’État français, un certain «Éric Besson, aujourd’hui secrétaire d’État, écrivant un petit pamphlet xénophobe contre» Sarkozy.

La tolérance d’Éric Besson varie grandement, par conséquent, suivant que des supporteurs de Sarkozy jugent publiquement qu’il est un peu «fasciste» ou franchement «xénophobe» , ou que des opposants au régime de Sarkozy trouvent dans son «action» des points de comparaison avec «les heures sombres du régime de Vichy»

Dans un cas: Éric Besson reste coi.

Dans l’autre cas: Éric Besson porte plainte.

En soi, n’est-ce pas: c’est divertissant.

Plus généralement, et bien au-delà du navrant cas d’Éric Besson: un gars comme Gallo ne cesse de rabâcher, depuis deux ans, toute vergogne bue, que les adversaires politiques de Sarkozy – que Son nom soit mille fois béni – sont des antisémites venus des années 30, et aussi – pourquoi se brider l’imagination quand on peut dire impunément des vilenies – des nazis venus des « heures sombres (…) d e l’entreprise criminelle d’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ».

Au lendemain du premier tour de la présidentielle, remember : le voilà qui déboule, frétillant de l’appendice, brûlant de servir, et qui dénonce, dans Le Point , où ses vues sont perçues comme autant de sommets de la pensée contemporaine, « la diabolisation de la personnalité de Sarkozy» .

Gallo précise alors, comme pour mieux établir que nulle honte ne lui éblouit les yeux: «Je ne vois pas d’autre exemple d’exécration d’une personnalité (…) depuis (…) la haine des antisémites contre Blum» .

(Dans la vraie vie, comme tu sais: la réaction et le patronat préféraient, dans les années 30, «Hitler plutôt que le Front populaire» – mais Gallo n’est pas du genre à se laisser emmerder par de si négligeables détails, quand il instrumentalise la mémoire de Léon Blum.)

Gallo ajoute même, pour qui n’aurait pas bien compris son atterrant message, que cette «exécration» vient de ce que cet homme – Sarkozy, donc – «est (…) d’origine étrangère, fils de Hongrois et descendant de juifs de Salonique» .

Puis, quelques mois plus tard, il (r)ajoute encore, durites fondues, que Sarkozy aurait pu «être sur une affiche rouge, aux côtés de Rachida Dati, Fadela Amara et Rama Yade» .

Hhhhh…

Gallo, tranquillement, a donc énoncé, au lendemain de son élection, que si tu n’étais pas complètement séduit(e) par le nouveau chef de l’État français, tu étais au fond du camp des fusilleurs nazis de Manouchian: c’est tellement énorme, qu’on en rigolerait presque.

Presque .

Mais je n’ai pas le souvenir qu’Éric Besson ait coincé Gallo dans un couloir pour un debriefing improvisé entre membres du fan-club de Sarkozy, genre, Max, tout le monde a compris que tu étais un historien légèrement décalé , alors maintenant, ça serait bien que tu redescendes un peu.

Ça le gêne pas du tout, Éric Besson, que les penseurs de proximité de Sarkozy fassent des amalgames dégueulasses entre la France – ou l’Allemagne – des années 30 (et 40) et la France d’aujourd’hui.

Tant que c’est pour la cause.

(L’important est de neutraliser la dissidence: peu importent les moyens, la fin les justifie.)

Sur un tel sujet, la philosophie d’Éric Besson et de ses potes régimaires se réduit à une double intimidation: un, je passe mon temps à te cracher que si t’es pas du même avis que Sarkozy, t’es un salaud des années 30; mais, deux, si tu as l’effronterie de comparer la France de Sarkozy avec la France des années 30, je porte plainte pour diffamation, parce que, sans déconner, depuis quand te permets-tu de faire comme je fais?

Naturellement: ce procédé a pour fonction d’occulter une réalité, un peu gênante pour «nos» Versaillai(se)s de régime, où la nauséabonde stigmatisation des mahométans «qui arrivent» rappelle, comme le souligne fort justement Olivier Roy, un temps où «les mêmes questions se posaient avec la pratique du judaïsme» .

Jean-Christophe Cambadélis est «ravi» qu’Éric Besson ait porté plainte?

Jean-Christophe Cambadélis a raison de s’en réjouir: c’est pas tous les jours qu’on a une si opportune occasion de faire la démonstration publique, à la barre d’un tribunal, que la «France d’après» a bel et bien des relents de France d’avant.

Vivement le procès!

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