De quels droits ?/Otages mais pas coupables

Christine Tréguier  • 28 janvier 2010 abonné·es

Ils n’ont pas de nom et pas de visage. Ce sont juste « les deux journalistes de France 3 » et leurs trois accompagnateurs afghans, enlevés le 29 décembre sur la route entre Surobi et Tagab, à une centaine de kilomètres au nord-est de Kaboul. Ils y réalisaient un reportage pour l’émission « Pièces à conviction ». Depuis, pas de nouvelles ou presque. Silence et discrétion, pour ne pas interférer sur les négociations. La consigne est si bien appliquée que les journaux d’information de France Télévisions s’abstiennent de simplement rappeler que les deux hommes sont toujours otages. Les kidnappés passent à la trappe, ensevelis sous l’omniprésent drame d’Haïti.

Mais la consigne de silence ne vaut pas pour tout le monde. Quelques jours après l’enlèvement, lors d’un Conseil des ministres, Nicolas Sarkozy, pourtant toujours prompt à voler au secours des victimes, a piqué une colère contre ces empêcheurs de guerroyer en rond : « Ces journalistes étaient inconscients. Ils ont agi en contradiction avec les consignes de sécurité. C’est insupportable de voir qu’on fait courir des risques à des militaires pour aller les chercher dans une zone dangereuse où ils avaient l’interdiction de se rendre. » Et notre père fouettard d’insister sur ce que ces impudents allaient coûter aux contribuables. Une semaine plus tard, Claude Guéant en rajoute une louche au micro d’Europe 1, parlant d’ « imprudence vraiment coupable » , de « recherche de scoop à tout prix » et évoquant le coût de leur sauvetage : « Je me souviens que, quelques jours seulement après leur disparition, on évaluait déjà ce coût à un million d’euros. » Une telle sollicitude a dû aller droit au coeur des familles.

De nombreux reporters de guerre ont vivement réagi à ces propos accusateurs qualifiés d’indécents ou de cyniques, rappelant que l’information en temps de guerre, aussi risquée soit-elle, ne saurait se limiter aux reportages encadrés par l’armée.
Une pétition dénonçant le procès fait aux deux journalistes a été lancée sur Facebook : « Nous ne pouvons pas admettre que des responsables politiques mettent en cause la probité professionnelle de nos confrères et amis. […] Les propos tenus sont outrageants au regard du parcours professionnel de nos confrères, des risques qu’ils ont encourus avec certains d’entre nous pour informer le public lors d’autres conflits et des motivations profondes qui les guident dans l’accomplissement de leur métier. […] Et puisque la recommandation est à la discrétion, nous aurions souhaité que les responsables politiques soient les premiers à faire preuve de retenue. Loin des contre-vérités et des polémiques. L’État doit assistance à tout citoyen français, fût-il journaliste. »
Le texte, repris par Reporters sans frontières, a déjà reçu plus de 800 signatures.

Pour calmer le jeu, la direction de France Télévisions a publié un communiqué laconique, le premier en vingt jours. Sans une ligne pour défendre ses employés, discrétion oblige. Et Sarkozy s’est décidé à recevoir les familles des deux journalistes. Vingt-deux jours après leur enlèvement, il était temps !

La pétition : http://www.rsf.org/

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