La taxe Tobin, maintenant !

Thomas Coutrot  • 28 janvier 2010 abonné·es

La question des taxes sur la finance occupe désormais le devant de la scène politique mondiale. Brown, Merkel et Sarkozy se sont déclarés favorables à une taxe sur les transactions financières. L’administration états-unienne et le FMI de Strauss-Kahn s’y refusent pour l’instant, mais le débat monte même aux États-Unis, avec une pétition de plus de deux cents économistes emmenés par Dean Baker (de l’institut progressiste CEPR) et le dépôt par des représentants démocrates de projets de loi au Congrès. En Grande-Bretagne, cœur de la finance mondiale, le chef de l’Autorité de surveillance des marchés, Adair Turner, s’est prononcé pour, tout comme le grand quotidien The Guardian.
La taxation des banques, décidée par Brown, Sarkozy et Obama, est un premier pas et une demi-mesure. Un premier pas car elle brise un tabou, celui de la création de nouveaux impôts sur le secteur financier. Une demi-mesure, car elle ne permet de récupérer qu’une petite fraction de l’argent public dépensé pour sauver le système, et ne compense en rien la flambée du chômage provoquée par l’irresponsabilité de la finance. Et surtout parce qu’elle ne contribuera en rien à calmer la spéculation.

Il est maintenant décisif d’imposer une taxe Tobin sur les transactions financières. En premier lieu parce qu’une telle taxe découragerait les opérations les plus spéculatives, celles de très court terme, principalement sur les produits dérivés, qui représentent aujourd’hui l’immense majorité des transactions. Ces transactions ont pu proliférer parce chacune d’elles ne coûte pratiquement rien et rapporte un peu : augmenter leur coût, même faiblement, les rendrait sans intérêt pour les spéculateurs. Selon l’économiste autrichien Stephan Schulmeister, auteur d’une récente étude très approfondie de la question, une taxe de 0,1 % réduirait de 60 à 80 % le volume des transactions sur les marchés de produits dérivés. Le pouvoir de nuisance de la finance en serait très affaibli.

En second lieu, les sommes récoltées par une telle taxe iraient, selon les estimations, de 400 à 800 milliards de dollars par an. Largement de quoi financer de vrais plans de lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique à l’échelle globale, pourvu qu’on crée les institutions démocratiques adéquates dans le cadre des Nations unies. Une règle simple pourrait servir à répartir ces fonds : 1/3 pour les budgets sociaux des pays du Nord, 1/3 pour le développement, 1/3 pour la lutte contre l’effet de serre au Sud. On pourrait ainsi avancer vers les objectifs du Millénaire pour le développement fixés par l’ONU pour 2015, qui sont aujourd’hui très mal partis. On pourrait aussi dépasser l’échec de Copenhague et débloquer des ressources pour la reconversion énergétique des économies au Sud.

Le débat est maintenant sur la place publique et au plus haut niveau. Certaines ONG de développement sont tentées par le « réalisme » proposé par Bernard Kouchner. Des « financements innovants indolores » permettraient de récolter des fonds, par une microtaxe (0,005 %) qui ne perturberait pas les marchés financiers. Jean-Louis Borloo propose lui aussi sa taxe, concurrente, pour lutter contre le réchauffement climatique. Il serait absurde de mettre en concurrence les causes du social et de l’écologie. Surtout, lutter contre la pauvreté ou la crise écologique en laissant intacte l’hégémonie de la finance mondialisée serait une politique de Gribouille. L’accroissement des inégalités et les dégâts du productivisme trouvent actuellement leur racine dans la logique folle du profit à court terme imposée par la domination du capital financier. Les mouvements sociaux, pour la première fois depuis le début de l’hégémonie néolibérale, ont su imposer une de leurs revendications phares au cœur du débat public mondial : il faut maintenant donner un sérieux coup de collier pour obtenir une vraie taxation des transactions financières, à la hauteur des défis qui sont devant nous.

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