Le capitalisme a cours à l’école publique

Le désengagement de l’État dans l’Éducation nationale entraîne l’émergence de partenariats conclus entre des entreprises et des collectivités. Exemple en Seine-Saint-Denis, avec BNP Paribas.

Thierry Brun  • 14 janvier 2010 abonné·es

C’était en décembre. De pleines pages de publicité font leur apparition dans la presse nationale et présentent sous son meilleur jour un partenariat signé entre le conseil général de Seine-Saint-Denis et la Fondation du groupe BNP Paribas, premier employeur du département. Nom de l’initiative : « Odyssée jeunes », un vaste « programme éducatif » qui permettra aux collèges du département de réaliser, entre autres, leurs voyages pédagogiques, assure Claude Bartolone, président socialiste du conseil général.

Le groupe bancaire et sa fondation, qui ont déjà investi l’Éducation nationale depuis plusieurs années, mettent une grosse somme d’argent sur la table : 3 millions d’euros au nom de « l’égalité des chances », expression chère à Nicolas Sarkozy. Et le discours prononcé par Claude Bartolone dans l’enceinte de l’hôtel du département à Bobigny, en présence du patron de la BNP Paribas, Baudoin Prot, revendique sans détour l’intrusion d’un groupe privé dans l’Éducation nationale : « À l’heure où chacun reconnaît le besoin d’école pour notre société, jamais la nation ne s’est à ce point désengagée de l’éducation, et jamais un groupe privé via sa fondation ne s’est à ce point investi pour notre territoire et nos enfants. » L’élu socialiste argue qu’ « entre fin 2007 et 2010, ce sont 50 000 postes qui auront été supprimés dans l’Éducation nationale ». Pour lui, la «  formule gagnante » serait donc « l’argent du privé et la vision du politique » pour un « service public moderne et conquérant » . Un propos fortement critiqué à gauche. Bartolone « invente le pink capitalism dans les collèges » , ironise Nicolas Voisin, ancien maire adjoint de Montreuil et ex-socialiste qui a rejoint le Parti de gauche. « Pendant deux ans, sous le prétexte d’une participation au financement et à l’organisation de voyages scolaires pour pas moins de 12 000 collégiens, le conseil général va donc largement ouvrir les portes des locaux des collèges publics du département dont il a la charge aux agents commerciaux de la banque BNP Paribas ».

Surtout, ce partenariat qui associe l’Éducation nationale aux entreprises est encouragé par le gouvernement dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Les syndicats soulignent que l’Éducation nationale est frappée « de plein fouet par des réformes plus régressives les unes que les autres » avec la mise en œuvre de cette RGPP. Les mêmes syndicats observent aussi l’accroissement massif du champ des activités privées et lucratives dans l’école publique. « La publicité pour BNP Paribas va pouvoir tranquillement s’introduire dans les établissements, diffusant l’univers culturel développé par la banque (logos, slogans, etc.) pour capter sa future clientèle chez les enseignants et, surtout, chez les enfants de 11 à 15 ans, qui représentent comme on sait une cible commerciale stratégique » , relève Nicolas Voisin.

« Qu’on ne me reproche pas une quelconque marchandisation de l’éducation ! », clame pourtant Claude Bartolone. Mais le socialiste a cependant annoncé la naissance d’une « fondation dédiée à la jeunesse du département, qui serait vouée à lever des fonds auprès de grands groupes privés désireux de participer à notre aventure collective » . L’école publique étant une manne très convoitée, le désengagement de l’État voulu par la droite sert les intérêts des grands groupes privés. TF 1 ne s’y est pas trompé : le conseil général de Seine-Saint-Denis s’est associé récemment au groupe audiovisuel pour la mise en œuvre et la gestion d’un dispositif d’orientation et de formation des jeunes dans les métiers de l’audiovisuel. L’égalité des chances peut aussi rapporter gros.

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