Alain Bauer : l’homme à tout faire

Christine Tréguier  • 18 février 2010 abonné·es

Le blog Numéro Lambda publie cette semaine un article intitulé « Incroyable, Alain Bauer rangé des camions ». On y apprend que ledit Bauer, fraîchement propulsé, à la demande de son ami Nicolas Sarkozy, à la tête de la nouvelle chaire de criminologie appliquée du Centre national des arts et métiers (Cnam), doit, lors de sa leçon inaugurale, annoncer qu’il renonce à ses multiples casquettes. Il dit vouloir se consacrer à l’enseignement et à son projet de fondation. Pour une surprise, c’est une surprise. Alain Bauer est en effet omniprésent dans le domaine de la sécurité et cumule allègrement les fonctions. L’ex-socialiste, ex-grand maître du Grand Orient de France, et dirigeant d’AB Associates – société de conseil en sécurité urbaine et en gestion des crises pour les collectivités territoriales et pour les entreprises – est aussi le factotum du gouvernement pour tout ce qui touche aux questions sécuritaires.

En 2003, Alain Bauer a été nommé président du conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance (OND) par Nicolas Sarkozy. L’OND est chargé d’analyser les données statistiques de la délinquance et a vu en 2009 sa compétence élargie à l’analyse de la réponse pénale. Depuis 2006, il publie les fameux « chiffres de la délinquance » sur lesquels s’appuient les ministres de l’Intérieur successifs pour justifier et durcir leur politique répressive. Cette expertise des chiffres qui font peur semble avoir largement profité à AB Associates, dont le chiffre d’affaires, en hausse constante depuis 2005, a atteint 3,1 millions d’euros en 2008
(soit + 26 % sur un an). Bauer a également été choisi pour présider la Commission de contrôle des fichiers et, plus récemment, la Commission nationale de vidéosurveillance. Passé maître dans l’art d’évoquer, avec rondeur et bonhomie, les nouvelles menaces globales, ce « marchand de peur », comme le nomment ses détracteurs, est devenu l’expert incontournable des plateaux de télévision. Il s’y est même vanté d’être celui qui a su détecter dans l’Insurrection qui vient (opuscule attribué à Julien Coupat) les signes d’un ennemi intérieur de type Action directe ou Brigades rouges.

Nombre de sociologues dénoncent depuis plusieurs années la vision idéologique de la délinquance et les analyses pseudo-scientifiques de Bauer. Et son intention, ainsi qu’il le déclare dans le communiqué AFP cité par le blog, d’en finir avec le mélange des genres a dû les laisser plus que dubitatifs. À raison. Le communiqué s’achève par un © « Les dépêches (presque) imaginaires de l’AFP », qui révèle la supercherie ! Point de démission, Alain Bauer reste. Mais reste aussi la critique des universitaires qui ont lancé une pétition en apprenant sa nomination au Cnam. Et celle de sociologues comme Laurent Mucchielli, qui considère que cette « nouvelle criminologie » à la française, émanant du pouvoir politique actuel, s’inscrit dans un programme plus vaste de mise sous tutelle de la recherche sur les questions de sécurité et de justice pénale.

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