Avis partagés

Denis Sieffert  • 11 février 2010 abonné·es

On connaît le mot de Tristan Bernard invitant un ami à venir voir sa pièce : « Venez armé, l’endroit est désert ! » Humoriste de moindre réputation, Éric Besson aurait pu avertir pareillement les participants à son fameux débat sur l’identité nationale. Les sous-préfectures n’ont pas fait le plein, c’est le moins que l’on puisse dire ! Tout le monde ou presque s’accordera à reconnaître que cette opération a été un énorme fiasco. Pour preuve : le gouvernement a finalement transformé en séminaire à huis clos ce qui devait être un fastueux colloque. L’effacement soudain de Nicolas Sarkozy, qui a pourtant été le véritable initiateur de ce débat, est une autre forme d’aveu. Pourquoi cet échec ? Parce que les deux scénaristes n’ont jamais su faire disparaître les grosses ficelles de leur manœuvre électorale. Et parce que le succès dépendait d’une savante alchimie entre le dit et le non-dit. Il fallait que tout le monde entende « islam », sans que le mot soit jamais prononcé. Or, le tacite est rapidement devenu explicite. L’opération, en fait, est un classique du nationalisme en crise : resserrer les rangs dans une adversité réelle ou fantasmée. C’est le mécanisme de la guerre, sous une forme atténuée. Avec un ennemi de l’intérieur, vrai ou supposé, attaqué dès qu’il laisse paraître des différences. Car on entend trop peu le véritable sens du mot identité, auquel les philosophes (il paraît que c’est Voltaire) ont trouvé un synonyme : « mêmeté ». Soyons tous les mêmes, soyons identiques. Soyons sérialisés comme des carrosseries produites à la chaîne.

Politiquement, donc, l’échec est consommé ; et c’est tant mieux ! Mais, sociologiquement, il n’est pas sûr que le résultat soit aussi neutre et indolore qu’il y paraît. Nous avons trop l’habitude de juger en surface, à coups de sondages faits à la va-vite. Allez savoir les dégâts causés dans les profondeurs de notre société par ces semaines de malaise et de stigmatisation inavouée. Aurait-on voulu aggraver les crispations communautaires, renforcer ce que, précisément, on dénonce, que l’on ne s’y serait pas pris différemment. Surtout que si Sarkozy et Besson sont dans le déni («  Nous, stigmatiser les musulmans ? Ça ne nous a pas même effleurés ! » ), d’autres font du décryptage à l’arme lourde. C’est le cas cette semaine encore de Bernard-Henri Lévy dans le Journal du dimanche (on se gaussera dans nos pages « échos » des démêlés du prestigieux philosophe avec Kant), qui se propose de « prêter main-forte » aux « musulmans modérés » , comme jadis aux dissidents d’Europe de l’Est. BHL ne dédaigne pas une petite référence au choc des civilisations. Et il invoque « une cause commune entre le judaïsme et le christianisme […] dans la lutte contre les totalitarismes ».

Insidieusement, judaïsme et christianisme deviennent des concepts politiques, évidemment démocratiques, comme si rien de sectaire ou de tyrannique n’avait jamais émané de ces religions-là. Tandis que « totalitarisme » devient un concept religieux, de cette religion qui n’est pas nommée. En ces temps de choc des civilisations, la « cause commune » est si urgente que BHL en absout Pie XII, « plutôt le moins silencieux de tous » pendant la Shoah… Vous verrez qu’un pape, un jour, canonisera BHL.

C’est dans ce contexte que l’on est invité à évoquer cette affaire de tête voilée du NPA dans le Vaucluse. Et vous, Politis , qu’en pensez-vous ? Eh bien, « nous », on est comme beaucoup, on est partagés. Et moi-même je le suis. En vérité, j’aimerais pouvoir crier un très sonore : « Je m’en fous ! » Mais il paraît qu’un éditorialiste doit avoir un avis sur tout, et que c’est même à cela qu’on le reconnaît. Et puis « je m’en fous », c’est déjà une opinion, puisqu’il n’est pas question d’arracher le voile de cette jeune fille, ni de lui interdire d’être candidate aux régionales. Et sa présence sur la liste du NPA n’est de nature (à supposer que je sois électeur dans le Paca) ni à me dissuader, ni à me convaincre de voter en faveur de ce mouvement. Observons seulement que l’opposition au voile procède toujours officiellement d’une intention bienveillante : protéger la jeune fille ou la femme de l’oppression patriarcale. Or, dans le cas présent, on n’a pas vraiment l’impression que cette jeune femme, candidate du NPA, soit sous le joug d’un père, d’un frère ou d’un époux tyrannique. Ni que le voile, destiné à cacher, remplisse tellement son office quand il va s’agir pour elle de figurer sur tous les murs de la ville et bientôt dans tous les débats télévisés… Cela tendrait à montrer que leurs motivations sont très souvent éloignées du stéréotype auquel nous nous cramponnons. Pour autant, et comme nous l’avions dit lors du débat de 2003-2004, s’agissant du voile, nous ne sommes pas pour l’interdit, mais nous ne sommes sûrement pas non plus pour la promotion. De quoi s’agit-il ici ? Le NPA lui-même ne semble pas savoir.

Retrouvez l’édito en vidéo.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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