Créer une conscience collective

Pierre Rabhi  • 18 février 2010 abonné·es

Après Rio de Janeiro, Kyoto, Johannesbourg, etc., le sommet de Copenhague a encore une fois mis en évidence l’incapacité de la communauté planétaire à donner à son devenir une orientation intelligente. C’est comme si les constats et les analyses objectives de la situation écologique extrêmement périlleuse n’étaient pas assez convaincants pour susciter les résolutions à la mesure de l’enjeu. Cet enjeu n’est rien de moins qu’un ultimatum adressé par la nature à l’espèce humaine afin qu’elle change son comportement à l’égard de la planète, qui lui donne et entretient sa vie, afin de ne pas créer les conditions de sa propre disparition.

En cherchant au-delà des critères élémentaires grossiers, pour ne pas dire grotesques – à savoir les intérêts contradictoires des États nations –, on peut se demander pourquoi l’intelligence manque. Celle-ci n’est évidemment pas à confondre avec les aptitudes dont nous sommes abondamment pourvus.
C’est grâce à ces aptitudes que nous réalisons des prouesses technologiques extraordinaires. Mais la combinatoire de ces prouesses n’améliore pas la condition humaine. Déterminées par une conscience collective non évoluée, elles produisent au contraire de la confusion. Ainsi, sur une planète une et indivisible d’un pôle à l’autre, où rien ne s’oppose à rien, l’espèce humaine a fait de la dualité le fondement du vivre-ensemble. Certains invoquent la lutte des espèces pour faire d’un comportement inintelligent une norme inéluctable qui serait voulue par la vie. Cette justification commode permet de laisser libre cours aux pulsions archaïques. Par exemple, chaque nation cantonnée dans ses frontières sécuritaires s’oppose aux autres nations en invoquant le précepte de la compétitivité, et justifie la production extravagante « d’armements de destruction massive ».

Tout cela pour dire que l’espèce humaine n’a encore pas compris qu’elle est également une et indivisible, en dépit de toutes les divisions qu’elle s’inflige et qui sont la source de la plupart des exactions de l’homme contre l’humain. C’est enfin l’espèce qui a subordonné les biens les plus vitaux, les plus beaux dont notre magnifique planète nous fait offrande, à la vulgarité et à la puissance éphémère du lucre. C’est un véritable crève-cœur que de voir la terre qui nous nourrit, l’eau qui nous abreuve, les forêts qui nous enchantent, la biodiversité végétale et animale qui nous émerveille, confisqués, asservis et détruits par la finance. Dans cette logique du hold-up permanent, les grandes rencontres internationales font office de diversion, pour mieux abuser l’opinion et la détourner des problèmes fondamentaux les plus urgents. Il faut être naïf pour croire que c’est avec des rencontres répétées que l’on pourra répondre à l’ultimatum dont il est question.

Le temps est venu d’instaurer intelligemment une politique de civilisation fondée sur la puissance de ma chère « sobriété heureuse ». Un chantier exaltant s’ouvre et invite chacune et chacun de nous à atteindre la plus haute performance créative qui soit : satisfaire à nos besoins vitaux avec les moyens les plus simples et les plus sains. Cette option libératrice constitue un acte politique et de légitime résistance à ce qui, sous le prétexte de progrès ou de croissance économique, ruine la planète en aliénant la personne humaine. Dans cette nouvelle orientation, la beauté de la nature, de la vie, et la beauté de la créativité humaine doivent accompagner toutes nos innovations. Un autre monde est possible, mais il ne se fera pas avec des injonctions, de doctes analyses ou des incantations. Le temps de la politique en acte et de l’indignation créative est venu.

Écologie
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