La concurrence menace les réseaux régionaux

La libéralisation et les carences de la SNCF risquent d’inciter les régions à passer contrat avec des opérateurs privés, y compris routiers, comme le réclame l’Europe.

Clémentine Cirillo-Allahsa  • 25 février 2010 abonné·es

Usagers qui tempêtent car les trains n’arrivent pas, cheminots en grève… Les présidents de région sont pris entre deux feux. En Paca, où les agents SNCF débrayent depuis des mois pour protester contre le manque de moyens et les suppressions de postes – 1 404 au budget 2010 de la SNCF, 3 713 selon les syndicats –, l’UMP accuse les grévistes d’être responsables des 4 000 trains supprimés tandis que la région tracte dans les gares contre la direction de la SNCF.

Dans un dossier complexe où les usagers ne savent pas toujours qui fait quoi, les dresser contre les cheminots fait déjà parti d’une politique de libéralisation. Après des années d’hypercentralisation qui ont mis les priorités territoriales au placard, la régionalisation devait permettre de sauver les Transports express régionaux (TER). Mais Réseau ferré de France (RFF), qui dépend directement de l’État, ne consacre pas les montants nécessaires à l’entretien du réseau, ­contraignant la SNCF à imposer des ralentissements importants sur 1 700 km de lignes. Le système de différenciation exploitant-gestionnaire, mis en place pour permettre la mise en concurrence exigée par les directives européennes, a contraint les régions à financer des rénovations de structures dépassant leur compétence pour garantir le service public. Sans pour autant obtenir satisfaction.

Aussi, en Midi-Pyrénées, le président du conseil régional, Martin Malvy (PS), a menacé de porter plainte auprès du tribunal administratif contre la SNCF, qui, selon lui, « ne remplit pas ses obligations ». La région Rhône-Alpes, avec 3 milliards d’euros investis en dix ans, « s’estime volée » . Du coup, les syndicats craignent que les carences de la SNCF en termes de service ouvrent la voie à une mise en concurrence. Déjà, l’Alsace et la Corse, présidées à droite, veulent mettre en place une expérimentation d’exploitation privée. En Poitou-Charentes, Ségolène Royal (PS) a annoncé qu’elle ne passerait plus par la SNCF pour l’achat de son matériel.
« Aujourd’hui, nos attentes sont plutôt des craintes, car les régions sont sensibles à ce chant des sirènes du privé, s’inquiète Philippe Mühlstein, permanent au bureau national de la Fédération SUD-Rail. Elles sont convaincues que la mise en concurrence est une réponse à leurs problèmes de coûts. Nous sommes toujours sous la loi SRU [^2], qui donne la SNCF pour seul opérateur des transports régionaux de voyageurs, mais pour combien de temps ? » Un rapport de la Cour des comptes publié à l’automne ne préconise-t-il pas « d’expérimenter des solutions routières alternatives » et de « dépasser les hésitations persistantes sur le principe de l’ouverture à la concurrence »  ?

Inquiets d’une prochaine perte de leur statut, les syndicats attendent des candidats « l’engagement qu’ils n’auront pas recours à la possibilité de mettre la SNCF en concurrence » . Car les modalités de mutation de son personnel au privé sont déjà en discussion. Les pratiques libérales de la « concurrence libre non faussée », que les régions pourraient être amenées à appliquer, représentent aussi un danger pour les usagers. Comme le souligne Jean-Pierre Girault, d’Europe Écologie, « ce qui partira à la concurrence dans le cas d’une ouverture du marché, ce sont les lignes rentables, ce qui signifie la mort de milliers de petites lignes ». «  Les opérateurs privés ne sont pas connus pour leur politique de sobriété », complète Pascale Le Néouannic, pour qui la logique marchande du faire-consommer-plus ne répond pas vraiment à l’urgence écologique actuelle.
« Il suffit de comparer l’état des routes et du ferroviaire par rapport à il y a trente ans ; la politique de l’État est claire, avec ou sans Grenelle, confie Daniel Faure, délégué CGT à Marseille. L’ouverture du marché du fret a profité à la concurrence… routière, multipliant les camions de marchandises. Si des lignes de TER sont fermées, les gens prendront leur voiture ! »

Le service public ainsi réduit à une peau de chagrin, que resterait-il de l’aspiration sinon à la gratuité, du moins au moindre coût ? Pour tenter de conjurer cette menace, le NPA comme le PG proposent de cesser d’obéir aux directives européennes de mise en concurrence et de créer des régies régionales garantissant le maintien des transports publics. Car le réseau, même gratuit, ne doit être soldé.

[^2]: La loi Solidarité et renouvellement urbain de 2002 confie aux régions l’organisation des services ferroviaires régionaux de transport de voyageurs.

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