Les galériens du bac + 10

Une enquête menée au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche publique met en lumière la précarité de nombreux chercheurs français, particulièrement en sciences humaines et sociales.

Manon Loubet  • 11 février 2010 abonné·es
Les galériens du bac + 10
© Photo : Ksiazek/AFP

Diplômés du troisième cycle, ils naviguent de contrat en contrat, de vacation en vacation, assurent des cours aux quatre coins de la France, et gagnent l’équivalent du Smic. Les perspectives d’un avenir stable pour les chercheurs non titulaires au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche publique (ESRP) sont de plus en plus restreintes. Et ce n’est pas demain que ces situations vont disparaître. En effet, les postes de titulaires de l’ESRP baissent chaque année, et le nombre de non-titulaires a augmenté de 26 % en deux ans.

Un an après le mouvement sans précédent qui avait mobilisé des milliers d’enseignants-chercheurs contre la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités au printemps dernier, une enquête rend compte des conditions de travail dans le secteur. Rendue publique le 8 février, cette enquête intitulée « Questionnaire sur la précarité dans l’enseignement supérieur et la recherche publique » a été réalisée bénévolement par des ingénieurs de recherche en statistiques, économie et sociologie titulaires au sein du CNRS, d’universités parisiennes et rémoises. L’initiative en revient à l’intersyndicale de l’ESRP, qui réalise de nombreuses actions communes depuis le mouvement social de 2003 contre la loi d’orientation et de programmation pour la recherche et l’innovation. « Cette enquête est un de nos plus gros chantiers », remarque Daniel Steinmetz, secrétaire général du SNTRS-CGT, le syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique.

« C’est un nouvel outil pour se battre contre les suppressions de postes, l’augmentation des contractuels, et lancer un nouveau “printemps des précaires” », continue Daniel Steinmetz. Dans cette enquête, sont ­considérés comme précaires les chercheurs, les enseignants-chercheurs, doctorants et post-doctorants qui n’ont pas de postes titulaires, sont rémunérés au « lance-pierres » et enchaînent « des CDD, des vacations, et assurent des cours et des examens gratuitement » , énumère Isabelle Clair, sociologue au CNRS. Sur 161 000 personnes embauchées dans l’ESRP, 50 000 vivotent avec des contrats précaires, dans l’invisibilité. « De plus, ils sont jugés comme des professionnels de deuxième catégorie, moins reconnus » , ajoute Isabelle Clair. « En France, les contrats des chercheurs ne tiennent pas compte de nos années d’expérience, ni de notre situation familiale », s’indigne Julien Hering, post-doctorant en biologie et membre du collectif Papera, un regroupement de précaires de l’ESRP. Lui doit fuir à l’étranger pour continuer ses travaux dans de meilleures conditions : « J’attends une réponse pour un contrat aux États-Unis. Là-bas, je serais payé décemment. Mais ce n’est pas toujours facile de partir, surtout quand on a une famille. »

La situation est d’autant plus difficile dans les sciences humaines et sociales que les effectifs sont encore plus affaiblis. Certaines disciplines comme les langues anciennes sont amenées à disparaître. Une des solutions ? Intégrer les précaires dans des statuts de fonctionnaires. « Cela ne coûterait rien à court terme car l’argent existe déjà au sein de l’Agence nationale de recherche et des crédits d’établissements » , affirme l’intersyndicale dans un communiqué de presse du 2 décembre. « Ce n’est pas qu’une logique comptable. C’est aussi un choix politique de laisser les chercheurs dans la précarité », commente Isabelle Clair.
« Un modèle managérial basé sur l’individualisation et la mise en concurrence systématique a été instauré dans les années 1980, explique Danièle Linhart, sociologue du travail au CNRS. Il a engendré une nouvelle gestion des salariés par la précarité pour les obliger à être plus productifs. » C’est cette tendance qui frappe les jeunes chercheurs alors même que le gouvernement ambitionne de doter la France d’une recherche plus performante.

Société
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Tour de France : Franck Ferrand, commentateur réac’ toujours en selle
Médias 11 juillet 2025

Tour de France : Franck Ferrand, commentateur réac’ toujours en selle

Cette année encore, France Télévisions a reconduit Franck Ferrand aux commentaires en charge du patrimoine lors du Tour de France. L’historien, très contesté, fan de Zemmour et de thèses révisionnistes, n’hésite pas, insidieusement, à faire passer ses idées.
Par Pierre Jequier-Zalc
La CGT et le Tour de France : quand sport et luttes se marient bien
Luttes 11 juillet 2025

La CGT et le Tour de France : quand sport et luttes se marient bien

Si le Tour de France est avant tout un événement sportif, il permet aussi à des luttes sociales et politiques de mettre en avant leur combat. Comme lundi dernier, à Dunkerque pour sauver les emplois d’ArcelorMittal.
Par Pierre Jequier-Zalc
« Ils parlent d’échange de migrants comme si les personnes étaient des objets »
Entretien 11 juillet 2025 abonné·es

« Ils parlent d’échange de migrants comme si les personnes étaient des objets »

Alors qu’un accord d’échange des personnes exilées a été trouvé entre la France et le Royaume-Uni, Amélie Moyart, d’Utopia 56, revient sur les politiques répressives à la frontière et le drame qui a conduit l’association à porter plainte contre X pour homicide involontaire.
Par Élise Leclercq
Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020
Enquête 10 juillet 2025 abonné·es

Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020

L’homme, alias Napoléon de Guerlasse, est l’administrateur du site Guerre de France, qui servait au recrutement du groupe jugé pour association de malfaiteurs terroriste. Militant d’extrême droite soutenu par le parti lepéniste aux municipales de 2020, son absence au procès interroge.
Par Pauline Migevant